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à Rome ! Cette fois elle serait brûlée tout entière pour lui faire expier sa défection. Le centurion qui, selon Tacite, consentit sur sa prière instante à ne pas lui couper la tête, ne se doutait guère des suites qu’allait avoir sa condescendance. Le fait est que le vulgaire opposa obstinément aux assertions de ceux qui disaient Néron bien mort cet argument que, si ses ennemis n’avaient pas exposé publiquement son cadavre ou du moins sa tête, c’est qu’il leur avait échappé. Aussi vit-on surgir plusieurs faux Nérons que les historiens de l’empire énumèrent. Un surtout, qui ressemblait physiquement à Néron, mit tout en émoi pendant quelque temps l’Asie-Mineure, l’Archipel et la Grèce. C’est vers l’automne de l’an 68 qu’apparut ce prétendu Néron, qui était, selon les uns, un esclave échappé du Pont, selon d’autres, un Italien. Il avait les gros yeux, la chevelure épaisse, le regard farouche de l’empereur défunt. Comme lui, il jouait habilement de la cithare et chantait. Il réunit une bande de vagabonds, de déserteurs, d’esclaves évadés, et se fit avec eux pirate et pillard. Quand Calpurnius Asprenas, chargé par Galba d’aller gouverner la Galatie et la Pamphilie, toucha avec deux galères à Cythnos, que l’imposteur avait choisie pour repaire, ses soldats furent un moment indécis. Le faux Néron faisait de chaleureux appels à leur fidélité au nom des Césars. Calpurnius n’hésita pas, il le fît enlever, mettre à mort, puis il promena sa tête à travers l’Asie avant de l’envoyer à Rome, tant il croyait nécessaire de désabuser les populations. Il n’y réussit toutefois que très imparfaitement. Rien n’a la vie dure comme ces bizarreries de l’imagination populaire. Les chrétiens surtout furent opiniâtres, bien que de bonne heure la signification du nombre 666 en lettres hébraïques se fût perdue dans l’église. L’idée que l’antechrist était l’empereur Néron, et qu’il pouvait reparaître d’un moment à l’autre pour engager la lutte décisive contre le royaume de Dieu, se maintint obstinément dans la tradition. C’était encore une croyance populaire au temps de Sulpice Sévère, c’est-à-dire à la fin du IVe siècle[1].

M. Renan n’avait pas à découvrir le sens vrai de l’Apocalypse. La démonstration dont nous résumons ici les élémens essentiels était faite depuis plus de trente ans par des théologiens protestans, aux-

  1. N’est-il pas aussi très curieux qu’aujourd’hui encore le nom de l’antechrist en arménien soit Néren ? Nous renvoyons au travail cité plus haut ceux qui seraient désireux de connaître les interprétations nombreuses, toutes plus impossibles les unes que les autres, que l’on a tentées du nombre satanique 666. Cette liste s’est depuis augmentée d’une hypothèse nouvelle, et qui fait frémir! S’il fallait établir le calcul au moyen de l’alphabet grec, des unitaires anglais se feraient fort de montrer que les deux mots grecs trias en, c’est-à-dire la trinité, donnent précisément par l’addition de leurs lettres le nombre 666.