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jours et sept nuits les efforts de la population pour l’éteindre, s’arrêta un moment devant un abatis de maisons qu’on avait sapées dans l’espoir de lui barrer la route, se ralluma et persista pendant trois jours encore. Des quatorze quartiers qui composaient la ville, trois furent entièrement consumés, de sept autres il ne resta que des murs noirs et branlans. Une pareille catastrophe éveilla de graves soupçons. On crut avoir remarqué que tout n’avait pas été naturel dans la marche du fléau. On prétendit que le feu avait pris à plusieurs maisons à la fois séparées par de longs espaces, que des soldats, des hommes de la maison impériale, des agens de la police urbaine, au lieu de songer à l’éteindre, l’avaient attisé et s’étaient opposés aux efforts que l’on faisait pour l’arrêter. Bientôt une rumeur étrange circula dans les rangs populaires. On disait que cet incendie était l’œuvre de l’empereur lui-même, qui avait voulu se procurer de cette façon sommaire la ville neuve de ses rêves. On ajoutait même que, transporté de plaisir à la vue du spectacle que lui offrait sa capitale se tordant dans les flammes, il avait pris sa lyre, et que du haut d’une tour il avait chanté un poème élégiaque sur l’incendie de Troie.

Ce dernier trait paraît apocryphe. Néron n’était pas à Rome quand l’incendie commença, il était à Antium, et il n’en revint que plusieurs jours après, quand le drame allait finir, au moment où sa Maison dorée provisoire était atteinte à son tour. Ce qui est certain, c’est qu’il s’empressa de tirer bon parti du désastre. Il voulut déblayer les ruines à ses frais, mais il ne fut permis à personne d’approcher les murs démolis. La Maison dorée se releva, encore agrandie des terrains avoisinans que l’incendie avait éclaircis. Les nouveaux quartiers furent construits conformément aux alignemens et aux dessins qu’il avait préparés. Lui seul semblait heureux de ce qui faisait le deuil de tous. Il est vrai qu’en cette occurrence il pouvait encore escompter jusqu’à un certain point l’indulgence de la basse classe. Celle-ci vivait à peu près comme les lazzaroni napolitains de nos jours, et probablement se trouva beaucoup mieux sous les abris qu’on improvisa pour loger les victimes de l’incendie que dans les bouges infects où elle s’entassait la nuit; mais il y a une mesure à tout : même au milieu d’une population corrompue il est une pudeur publique qu’on ne brave pas impunément. D’ailleurs il ne faut pas oublier qu’il y avait encore à côté de la tourbe une bourgeoisie marchande, une plèbe honnête, cette pars populi integra dont parle Tacite, et nombre de vieilles familles qui se trouvaient cruellement frappées dans leurs intérêts et dans leurs affections. Les morts se comptaient par centaines. Le patriotisme pleurait la ruine de tant de monumens petits et grands qui consacraient les meilleures gloires