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tiennes avaient coexisté dès les premiers jours, où enfin dès l’an 64 une épouvantable catastrophe avait momentanément anéanti la communauté! En résumé, nous dirons avec M. Renan qu’il sera toujours impossible de prouver que l’apôtre Pierre n’a pas fait le voyage de Rome dans la courte période qui va de la fin de 61, date approximative de l’épître aux Philippiens, au mois de juillet 64, moment du grand incendie. Pourtant il y a loin de là à une démonstration de ce voyage; on s’explique sans trop de peine comment la tradition qui l’atteste a pu se former de très bonne heure sans reposer sur des faits réels, et par conséquent les allusions que l’on croit trouver dans la première épître de Pierre et le quatrième évangile, écrits du milieu du IIe siècle, ne sauraient modifier ce jugement. Il serait sans doute plus agréable pour l’historien d’avoir un plus grand nombre de faits certains à décrire ou à commenter. La rencontre à Rome des deux apôtres rivaux, tous deux vieillis dans leur ministère, et qui ne s’étaient pas revus depuis les pénibles scènes d’Antioche, parle d’elle-même à l’imagination. Il serait séduisant de pouvoir affirmer avec certitude qu’enfin ils se comprirent, se rapprochèrent et scellèrent de leur sang martyr une réconciliation commandée par les devoirs les plus impérieux, par les intérêts les plus pressans. Les documens font défaut, et même il faut ajouter que l’acharnement contre la doctrine et la personne de Paul si longtemps déployé par ceux qui se vantaient de suivre la doctrine de Pierre n’est pas de nature à faire croire que leur chef, avant de mourir, aurait donné l’exemple de la fusion.

Arrivons à la légende qui concerne l’apôtre Jean. Ici encore on peut s’étonner de la voir presque consacrée par l’autorité de M. Renan. Quand on ne croit pas aux miracles, on n’admet pas non plus qu’un homme plongé par des tortionnaires dans l’huile bouillante ait pu sortir sain et sauf d’un pareil bain. La supposition que Jean aurait compté parmi les malheureux que Néron fit enduire de poix pour éclairer ses jardins, que par une cause inconnue il aurait échappé au dernier supplice, et que telle serait l’explication de cette immersion légendaire in oleum îgneum, cette supposition n’est pas plus admissible que la légende elle-même. Il y a plutôt au fond d’une telle tradition, comme au fond de plusieurs autres remontant à la même époque, un besoin superstitieux de confirmer quelques paroles de Jésus[1] qui n’exigeaient nullement une confirmation de ce genre. C’est une tendance analogue qui a engendré une autre légende, mentionnée dans les Soliloques d’Augustin, d’après laquelle le même apôtre aurait bu un breuvage empoisonné sans en ressen-

  1. Par exemple Matth., XX, 23.