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d’Arbois de Jubainville, ils sollicitaient eux-mêmes les arrêts dont ils avaient besoin pour faire triompher leurs vues. Ces arrêts n’étaient souvent applicables, aux termes mêmes dans lesquels ils étaient rendus, qu’à la province que dirigeait l’intendant qui les avait sollicités, les règlemens variant souvent à cette époque d’une province à l’autre, même d’un canton à un autre canton, comme cela avait lieu pour les coutumes. Aussi la situation des intendans différait suivant les généralités ; elle n’était pas pareille dans les pays d’élections et dans les pays d’états : certaines provinces n’avaient même ni élections, ni états, ni bureaux de finances.

Ce ne fut pas sans résistances et sans protestations que les cours de justice virent s’établir un pouvoir qui menaçait de les dominer. Les parlemens avaient rendu d’abord des arrêts contre les décisions des intendans, ils décrétèrent même plusieurs fois ceux-ci de prise de corps ; mais le grand-conseil cassa les arrêts, et les parlementaires durent se soumettre. La lutte fut vive, pendant la fronde surtout. La cour souveraine se plaignait hautement que les intendans étendissent leurs pouvoirs à d’autres matières que les impôts. Le conseil du roi rendit des arrêts qui interdisaient aux parlemens, à la chambre des comptes, au grand-conseil, aux cours des aides, aux autres juridictions, de connaître des affaires se rapportant à l’interprétation des lois de finance, et. ce n’étaient pas seulement ces matières qui étaient ainsi soustraites à la juridiction du parlement. Les évocations au conseil, faites en vertu du pouvoir justicier-souverain dont le roi était investi, allaient en se multipliant. La vieille lutte entre le parlement et le conseil, à laquelle on avait assisté sous Charles VI et Charles VII, qui avait donné lieu à tant de réclamations aux états-généraux de Tours sous Charles VIII, se renouvelait sous Louis XIV ; il y eut chaque jour une ordonnance ou un règlement nouveau pour lequel l’appel à la juridiction de l’intendant et l’appel au conseil étaient réservés ; il s’ensuivit que la compétence des cours souveraines diminua graduellement. Toutes les fois qu’il s’agissait d’une affaire où l’état était engagé et pour laquelle les nouvelles ordonnances ne réservaient pas la compétence des intendans et du conseil, elle était évoquée devant celui-ci, en sorte qu’il ne restait plus guère aux tribunaux ordinaires qu’à statuer sur les différends entre particuliers.

Cette résistance restait stérile ; elle le fut surtout sous Louis XIV et sous le gouvernement de la seconde moitié du règne de Louis XV. Quand les parlemens n’osaient attaquer l’intendant, ils s’en prenaient aux subdélégués ; leurs plaintes avaient ordinairement dans ce cas plus de fondement, car ces représentans de l’intendant étaient loin de s’acquitter toujours de leurs fonctions avec zèle et