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rait acheter bien cher un avantage très précaire et très incertain. La Péninsule suffit à l’activité de son gouvernement. Le cantonalisme n’a pas encore rendu les armes, et dans le nord on n’a pu jusqu’à ce jour reprendre une offensive énergique contre les carlistes. La victoire y est stérile, elle manque de souffle. À Los Arcos comme à Puente-la-Reina, le général Moriones a vaincu ; deux fois ses soldats ont enlevé les positions de l’ennemi, deux fois, faute de ressources suffisantes, il n’a pu poursuivre ses avantages. Ceux qui lui reprochent la lenteur et l’inutilité de ses succès oublient le temps qui est nécessaire, non-seulement pour réunir les réserves, mais pour les équiper et les exercer. L’Espagne est un pays où les espérances des hommes sont aussi impatientes que la résistance des choses est opiniâtre.

Les pessimistes assurent qu’en reconstituant l’armée le gouvernement fait une œuvre qui le trompe, qu’il se prépare de redoutables difficultés. Ils prévoient que, la guerre finie, le soldat appartiendra aux chefs qui lui auront appris à vaincre, et que l’épée d’un capitaine heureux disposera des destinées de l’Espagne. On réplique à cela que les temps et l’esprit du soldat sont changés, que l’ère des pronuncîamientos est close. C’est à l’événement de décider entre ces prévisions contraires. « Vous nous accuserez, disait M. Castelar, d’avoir peu d’instinct de conservation. Je vous répondrai que nous subissons la loi de la nécessité, que, malgré les exemples néfastes que nous fournit notre histoire, je crois à la parole d’honneur des généraux espagnols, que depuis la révolution de septembre, c’est-à-dire pendant cinq années, les insurrections militaires ont été épargnées à l’Espagne, qu’enfin il n’y a pas d’épée si tranchante, ni de conjurations si bien ourdies qu’elles puissent mettre en danger la république et l’attachement que lui ont voué nos soldats. Au surplus, danger pour danger, s’il en est un qui nous menace, j’aime mieux qu’on m’accuse d’avoir trop présumé de la loyauté de caballeros espagnols que si on me reprochait d’avoir laissé don Carlos s’avancer jusqu’aux portes de Madrid. »

Malheureusement d’autres périls plus certains menacent l’avenir de la république. L’un des plus graves est la situation financière, si inquiétante pour les Espagnols et encore plus pour leurs créanciers. Tous les partis en sont également responsables, ils ont travaillé tous à empirer le mal. Depuis quarante ans qu’ils se succèdent au pouvoir, ils se sont appliqués à grever de nouvelles charges et de nouveaux embarras le patrimoine compromis dont ils avaient hérité. L’Espagne, qui a tant de vertus brillantes, n’a pas celles qui font prospérer les ménages. Elle n’a jamais su régler ses besoins sur ses revenus, elle a toujours dilapidé ses ressources. Elle