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ne lui reprochait rien ; mais un homme politique est tenu de s’occuper un peu de la conscience des autres.

On respira quand on entendit son successeur, M. Salmeron, déclarer hautement qu’il se consacrerait tout entier au rétablissement de l’ordre public, et qu’on le vit aussitôt confirmer ses promesses par des actes de vigueur. Si faibles que fussent les ressources dont il disposait, elles lui suffirent pour frapper des coups décisifs. Quelques régimens conduits par le général Pavia s’emparèrent de vive force de Séville, où les factieux avaient eu le loisir de se fortifier. Peu s’en fallut que la merveilleuse cité ne payât chèrement la défaite de sa commune. L’indomptable élan du soldat ne laissa pas au pétrole le temps de consommer son œuvre ; l’Espagne tressaillit de joie en reconnaissant son armée. Ce premier succès entraîna la reddition de Cadix, de Cordoue, de Grenade, de Malaga, de Valence. L’insurrection fut resserrée dans Carthagène, où le général Contreras avait établi sa dictature, et qui exigeait un siège en règle. La ville des Scipions, avec ses fortifications, son arsenal, son parc d’artillerie, sa rade magnifique dans laquelle, comme on l’a dit, deux flottes pourraient se livrer, une bataille à huis-clos, devait rester longtemps au pouvoir des cantonalistes, et infliger à l’Espagne cette humiliation suprême de voir ses bâtimens de guerre convertis en pirates et manœuvres par des forçats.

Cependant, après cet heureux début, M. Salmeron résigna tout à coup ses pouvoirs, cédant à d’honorables scrupules qui méritent d’être notés. Le sang d’Alcoy criait. L’opinion ne réclamait pas seulement des mesures énergiques contre les ennemis de l’état ; elle exigeait qu’après la victoire on en finît avec le système des ménagemens et des amnisties, que les coupables fussent châtiés sans merci, les chefs surtout, et ces meneurs qui font exécuter leur œuvre de ténèbres par d’aveugles instrumens,


Et se sauvent dans l’ombre en poussant l’assassin.


Les généraux déclaraient ne pouvoir répondre de l’ordre et de la discipline que si on les autorisait à faire un exemple des soldats et des officiers qui avaient déshonoré leur uniforme en s’enrôlant dans l’émeute. Ils sollicitaient le gouvernement d’assurer un libre cours à la justice et leur entière exécution aux arrêts des tribunaux militaires. M. Salmeron avait combattu la peine de mort, il en avait poursuivi l’abolition. Une voulut ni démentir ses principes, ni énerver le pouvoir en se refusant à des rigueurs qu’il jugeait lui-même nécessaires. Il échangea la présidence du conseil contre celle des cortès, promettant à son successeur un concours loyal et empressé.