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gagne rien sur les passions en les heurtant de front, il négociait avec les cantonalistes et leur faisait porter ses conseils par des ambassadeurs d’un caractère doux et liant, qui avaient ordre de revêtir de formes flatteuses la morale austère qu’ils prêchaient. Ces personnages agréables, personœ gratœ, lui semblaient plus propres à ramener les fanatiques. Il y a quelque chose de spécieux dans cette méthode de faire guérir les fous achevés par des demi-fous, qui ont des intervalles lucides. Ils connaissent par leur expérience personnelle la maladie qu’ils sont appelés à traiter, et la sympathie qu’ils témoignent aux malades est faite pour toucher leur cœur ; mais il faut se défier des rechutes. Tel agent, tel gouverneur civil dépêché par M. Pi en Andalousie ou en Murcie, après avoir longtemps raisonné avec l’émeute, ont jugé à propos de se mettre à sa tête pour modérer le mouvement, comme ils le disaient. Les missionnaires n’ont pas converti les sauvages ; ce sont les sauvages qui ont converti les missionnaires.

L’insurrection ne tarda pas à éclater. Elle débuta par les troubles d’Alcoy, ville de 16,000 âmes, située entre Alicante et Jativa, et l’un des centres manufacturiers du midi. Ces scènes de désordre, auxquelles l’Internationale imprima son caractère, donnèrent lieu à d’horribles excès dont l’Espagne fut épouvantée. À la suite d’une grève d’ouvriers et de la nomination d’une junte révolutionnaire, l’hôtel de ville fut pris d’assaut, les conseillers municipaux jetés par les fenêtres et massacrés. Le gouvernement chargea le général Velarde d’occuper la ville et d’y rétablir l’ordre ; on lui commanda aussi de n’opérer aucune arrestation, de ne point rechercher les auteurs de ces sanglantes saturnales.

Le branle avait été donné. Bientôt Séville, Cadix, Grenade, Cordoue. Valence, d’autres villes encore, proclamèrent leur indépendance et formèrent chacune un état dans l’état. Les fonctionnaires nommés par M. Pi firent la plupart acte d’impuissance ou de complicité. Les uns, sous prétexte de conciliation, consentaient à retirer les troupes des communes insurgées ; d’autres assistaient impassibles aux sévices exercés par une populace en démence contre une poignée de carabiniers et de gardes civils esclaves de leur devoir. Les gouverneurs de Cadix et de Cordoue ne se firent pas scrupule de présider des comités et des juntes cantonales ; le gouverneur d’Alicante déserta son poste. On put craindre que le mal, gagnant de proche en proche, n’envahît toutes les provinces, que les plans de l’Internationale ne fussent sur le point de s’accomplir, et que l’Espagne, menacée d’une décomposition putride, n’offrît plus aux regards de l’Europe étonnée que l’assemblage confus de quelques milliers de municipes autonomes régis par la violence et