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peu les termes de son programme, le formulaient ainsi : défiance à l’endroit des hommes d’ordre, complaisance à l’égard des hommes de désordre.

Le nouveau chef du pouvoir exécutif avait pris ses ministres moitié dans la droite, moitié dans la gauche de la chambre. Ce ministère était incapable de rien décider, faute de s’entendre sur rien ; chargé de montrer son chemin aux cortès, il était lui-même occupé à le chercher. M. Pi employait la meilleure partie de son temps à concilier ses auxiliaires ; il leur représentait vainement qu’ils avaient les mêmes principes, que leurs mésintelligences ne portaient que sur des détails. Le moyen de mettre d’accord des médecins appelés au chevet d’un mourant, quand les uns soutiennent que sans les grands remèdes il ne passera pas la nuit, et les autres qu’il n’a rien à craindre, que sa maladie est un excès de santé ? Ses heures de loisir, M. Pi les consacrait à parlementer avec les clubs, leur prêchant la douceur, la patience et la légalité. Il ne pouvait obtenir des concessions qu’en en faisant lui-même ; on assurait à la vérité qu’il en faisait plus qu’il n’en obtenait, que l’empire qu’il se flattait d’exercer sur les cerveaux brûlés était imaginaire. On citait le mot fameux : « il faut bien que je les suive, puisque je suis leur chef. » On l’accusait aussi de faire plus d’avances aux méchans qu’aux gens de bien. Il se disait sans doute : « Les honnêtes gens aiment mieux avoir un gouvernement qui leur déplaît que de n’en point avoir du tout, je peux compter sur eux ; mais les autres qui désirent n’en point avoir, mon succès sera grand, si je réussis à leur persuader qu’il en faut un peu. » Personne ne s’abusait moins que lui sur les projets de l’Internationale ; il se multipliait pour l’amener à résipiscence. Dans la contrée de Mossoul, près du Tigre, habitent les Yézides, peuplade kourde très détestée des islamites. Ils passent pour ne pratiquer en fait de culte que l’adoration du diable. « Pourquoi, disent-ils, nous mettre en peine d’obtenir les bonnes grâces d’un Dieu tout bon et tout prévoyant ? celui qu’il faut fléchir, c’est le méchant, c’est l’ennemi, »

On a calomnié les intentions de M. Pi en prétendant qu’il avait soufflé le feu dans l’Andalousie et favorisé sous main l’insurrection cantonaliste. Les intransigeans avaient fait de nombreux efforts pour le gagner à leurs idées et lui faire agréer leurs moyens ; il a opposé à leurs tentatives une résistance qu’on a pu trouver un peu molle, mais qui ne s’est jamais démentie. Il s’est toujours prononcé pour les moyens légaux ; il voulait l’ordre, mais il le voulait à sa manière, et il avait le tort de croire à la vertu toute-puissante des bons avis et de la persuasion. On a rencontré plus juste en qualifiant son administration de gouvernement de missionnaires. Convaincu qu’on ne