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més ne tardèrent pas à comprendre que la partie était perdue et la résistance impossible. Pour obtenir leur élargissement, ils durent se laisser désarmer, cérémonie plus humiliante encore pour les chefs qui les avaient inutilement compromis que pour ces braves gens, dont plusieurs versèrent des larmes de rage en livrant leur fusil.

Tout était fini ou à peu près quand à neuf heures la commission rouvrit sa séance. Elle manda les ministres, qui répondirent cette fois avec l’insolence de la victoire qu’ils n’auraient garde de se déranger, qu’ils avaient fourni des explications suffisantes, qu’un surplus d’entretien ferait longueur. Comme elle insistait, ils l’avertirent charitablement qu’elle eût à pourvoir à sa sûreté. Le conseil n’était pas superflu. La populace échauffée, ivre de son facile triomphe, s’était ameutée autour du congrès, dont elle gardait toutes les issues ; quelques hommes de sang, mêlés aux groupes, s’avisaient de demander des têtes. Les députés eurent grand’peine à gagner le large ; quelques-uns furent appréhendés au collet et en danger de mort ; d’autres ne purent s’évader qu’à la faveur d’un déguisement. Plusieurs ministres exposèrent leur popularité et leur vie pour arracher sa proie à l’émeute. L’un d’eux alla chercher le duc de la Torre dans la maison où il s’était réfugié, et lui procura une retraite plus sûre en l’emmenant dans sa voiture à la légation d’Angleterre. Nous avons dit qu’en Espagne les luttes politiques engendrent moins qu’ailleurs des haines personnelles. Les vainqueurs du jour se souvenaient qu’en 1866 ils avaient figuré parmi les vaincus, et que, poursuivis et traqués, le général O’Donnell avait facilité leur fuite. Soit générosité native, soit une sorte de fatalisme qui prévoit les retours de fortune, l’Espagnol devient aisément l’ami de son ennemi. Ce fut encore un ministre qui conduisit secrètement M. Martos chez le chargé d’affaires de Belgique. « Je suis ravi de voir que vous êtes si bien logé, dit-il gaîment en lui recommandant l’hôte qu’il lui amenait ; peut-être viendrai-je sous peu vous demander un asile. »

Ainsi se termina sans effusion de sang et à la façon d’une tragi-comédie cette journée qui à son lever avait paru grosse de malheurs ; mais ainsi avorta misérablement ce fameux con plot qui s’était annoncé avec tant d’apparat, et sur lequel on fondait de si brillantes espérances. Les conjurés ne pouvaient s’en prendre qu’à eux-mêmes de leur insuccès ; ils avaient eu l’air de s’entendre, et ils ne s’entendaient point. Ces alliés d’un jour se défiaient les uns des autres, et les petites précautions sont le tombeau des grandes entreprises. Les conservateurs accusaient les radicaux d’avoir simulé une attaque pour inquiéter les républicains et les contraindre