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REVUE. — CHRONIQUE.

recteurs et les grands du palais, les fidèles du roi, les serfs de la glèbe, les ingénus, les lides et une foule d’autres personnages, grands ou petits, désignés sous des noms latins dont il est souvent impossible de reproduire le sens historique par des équivalens français, tels par exemple que les proceres, les potentes, les primates, les primarii, les primores, les priores, les seniores, les aulicolæ, les pueri regis, les puellæ in verbo regis, etc. Sans arriver toujours à des interprétations décisives, M. Deloche donne sur ces] divers ordres de personnages des renseignemens nouveaux, et ce n’est pas l’un des côtés les moins curieux de son livre. Il éclaire également avec sagacité l’histoire des origines et des attributions de la royauté barbare inaugurée par Clovis sur la terre gauloise.

Cette royauté se rattache directement au compagnonnage germain ; elle a par cela même, dans sa forme primitive, le caractère du patronage bien plus que celui de la souveraineté, et elle préside plutôt qu’elle ne gouverne une société d’hommes libres qui sont presque ses égaux ; mais dès les premiers temps de la conquête la population romaine, qui se rallie autour d’elle avec ses habitudes hiérarchiques et administratives, le clergé qui la conseille et qui veut organiser la société civile sur le modèle de la société religieuse en lui donnant pour base le principe d’autorité, poussent la royauté vers le pouvoir unitaire et absolu. Elle se trouve ainsi entraînée par deux courans opposés, au gré desquels elle flotte au hasard. Lorsqu’elle penche vers le despotisme romain, elle trouve devant elle ses leudes et ses fidèles, qui ont toujours le droit de la désavouer, de se placer dans la recommandation d’un autre prince, et de la combattre, si la fantaisie leur en prend. Ne pouvant imposer aux hommes de sa race l’obéissance par le droit, elle achète leur concours par des bienfaits ; elle leur donne des terres, à titre viager d’abord, et plus tard à titre héréditaire, et c’est là une cause irrémédiable d’affaiblissement, car la royauté crée autour d’elle, par les aliénations territoriales, une classe de guerriers propriétaires, qui cherchent et qui trouvent un nouveau point d’appui pour leur indépendance dans la possession du sol : quand elle essaie de transformer le patronage en souveraineté effective, les forces anarchiques de la société se liguent contre elle et l’écrasent, et malgré l’effort d’organisation gouvernementale qu’elle tente dès les premiers jours de la conquête, elle est à peine debout qu’elle penche déjà vers la ruine. La royauté franque est du reste l’image fidèle et vivante de la société au milieu de laquelle elle s’est développée. Cette société, suivant le mot d’un écrivain du vie siècle, était un chaos où Dieu broyait les peuples pour les rajeunir ; mais déjà de ce chaos se dégageaient quelques-uns des élémens du monde moderne, et l’anarchie franque n’est que la préface des temps féodaux et de la monarchie capétienne. Le vassal carlovingien, qui succède aux leudes et aux antrustions, devient le baron du moyen âge. Les princes francs, en faisant revivre les traditions de la Rome impériale, en com-