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REVUE. — CHRONIQUE.

démonte, pour ainsi dire, pièce à pièce tous les rouages de cette institution. Il montre d’abord, contrairement à l’opinion de M. Guérard, que les femmes n’étaient point admises à l’antrustionat, par la raison bien simple qu’il leur était impossible de remplir un rôle essentiellement militaire ; les hommes libres de race franque en ont seuls fait partie dans les premiers temps de la conquête, et ce n’est que sous les derniers successeurs de Clovis qu’on y voit figurer à côté d’eux des Gallo-Romains.

Quand un guerrier franc voulait obtenir le titre d’antrustion, il faisait demander, pour lui et pour sa clientèle militaire, une audience au comte du palais ou au roi lui-même. L’audience obtenue, il se présentait avec ses hommes devant le prince et lui jurait pour lui et pour les siens aide et fidélité. L’admission prononcée, il en était dressé procès-verbal, et le récipiendaire en recevait une copie. À dater de ce moment, les nouveaux antrustions appartenaient aux rangs les plus élevés de la société franque. Les uns étaient investis des fonctions de duc ou de comte ; les autres recevaient des terres à titre de bénéfices, ou à défaut de terres des présens qui consistaient en armes, en chevaux, en argent monnayé, ce qui était de tout point conforme aux coutumes nationales des Germains.

Outre les prérogatives générales qu’il partageait avec tous les hommes libres ayant droit de cité, l’antrustion jouissait, en vertu de son titre, de privilèges spéciaux. Sa vie, dans les compositions pénales, était évaluée au triple de celle d’un Franc de condition ordinaire, soit 600 sols lorsqu’il était victime d’un meurtre simple, et 1800 sols quand le meurtre était accompagné de circonstances aggravantes. Il occupait les premières places, probablement la première après les dignitaires de l’église, dans les cérémonies publiques, les plaids royaux, ainsi qu’à la table du roi ; mais, contrairement à ce qu’affirment Montesquieu, Guérard et Pardessus, M. Deloche ne pense pas qu’il ait eu le privilège de ne pouvoir être actionné que devant le tribunal du roi : il était, comme tous les hommes libres, justiciable des plaids locaux présidés par le comte ou le centenier, et ne tombait comme eux sous le coup de la juridiction royale que dans le cas où il refusait de comparaître, après sept assignations, devant les juges ordinaires, ou qu’il cherchait à se dérober par la fuite à l’action des lois.

De même qu’il participait à toutes les prérogatives des hommes libres ayant droit de cité, de même l’antrustion était soumis à tous leurs devoirs ; il avait en outre des obligations spéciales qui l’enchaînaient pour ainsi dire à la personne et à la destinée du prince. Il lui devait un dévoûment absolu et l’assistance de son bras en tous lieux, envers et contre tous, c’est-à-dire non-seulement à l’armée, devant l’ennemi, mais aussi en temps de paix contre ses ennemis privés ; il était tenu de se faire au besoin l’instrument de ses vengeances particulières, et l’ac-