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REVUE. — CHRONIQUE.

1557 un jésuite, le père Lacarry, proteste pour la première fois contre ce mensonge historique dans un livre aussi bizarre que savant, intitulé Discours non plus mélancolique que de diverses choses qui appartiennent à notre France. Dès ce moment, l’érudition entre dans la voie des recherches positives. Claude Fauchet, Pithou, Étienne Pasquier, commencent à débrouiller le chaos des invasions franques, à chercher aux Mérovingiens d’autres aïeux que le petit-fils de Laomédon. Du Cange et Baluze éclairent à leur tour d’une vive lumière ce côté jusqu’alors ténébreux de nos annales. Montesquieu, Mably, Dubos, Boulainvilliers, l’abbé de Gourcy au xviiie siècle, et de notre temps même MM. Guérard, Naudet, de Pétigny, Pardessus, Lehuërou, Augustin Thierry, Fauriel, Guizot, ont abordé par l’ensemble ou le détail les questions qui se rattachent à l’établissement des peuplades germaniques dans la Gaule, à la condition des terres et des personnes, au gouvernement, aux institutions publiques, sous les dynasties mérovingienne et carlovingienne.

L’Allemagne s’est montrée, à l’égard de cette période historique, plus curieuse encore que la France, parce qu’elle lui rappelait des idées de conquête, et il n’est pas au-delà du Rhin une seule université qui n’ait produit quelques thèses et quelques volumes sur Frédegonde ou Brunehaut, Gondovald ou Charles de Lorraine. Les dissertations sur les maires du palais formeraient à elles seules une petite bibliothèque. MM. Pertz, Luden, Waitz, Bonnell, Zinkeisen, Schoene, Leo, Zoepft, bien d’autres encore, se sont livrés au sujet de ces personnages aux plus patientes recherches ; mais sur ce point, comme sur la plupart de ceux qui se rapportent à la société gallo-franque, la lumière est loin d’être faite. Il n’est pas un seul docteur allemand qui soit d’accord avec ses collègues, et chez nous les avis ne sont pas moins partagés. Chateaubriand voit dans les maires des chefs librement élus par leurs compagnons ; Lehuërou assimile leurs fonctions à celles du curopalate de l’empire byzantin ; Sismondi prétend qu’il y en avait deux auprès du même roi investis chacun d’attributions différentes, et tandis que les uns les regardent comme les agens de l’aristocratie franque, et attribuent leur élévation à cette aristocratie, d’autres cherchent le point de départ de leur fortune dans les relations adultères qui unissaient Landry à Frédégonde, et Protadius à Brunehaut. Les mêmes divergences d’opinion se produisent au sujet de la succession royale sous les Mérovingiens. Les uns veulent que la couronne ait été élective, d’autres, comme Vertot, Fauchet et Bignon, qu’elle ait été élective héréditaire ; d’autres enfin, comme Foncemagne, prétendent qu’elle était purement successive. S’agit-il de l’organisation judiciaire, nous nous trouvons en présence des mêmes incertitudes et de la même obscurité. Quels étaient ces rachimbourgs, ces scabins, ces sagibarons, ces boni homines, qui assistaient aux plaids locaux, ces proceres ou optimales, qui jugeaient dans la cour du roi les causes politiques