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légitimistes en sont là aujourd’hui, ils ont quelque mélancolie et un certain dépit contre tout ce qui se passe, même contre ce vote de la prorogation, auquel la plupart d’entre eux ont contribué ! Évidemment les choses n’ont pas tourné comme ils l’entendaient, ils ont de l’amertume contre tout le monde, contre leurs alliés de la veille dans les projets de restauration monarchique aussi bien que contre leurs adversaires, et cette prorogation qu’ils ont accordée à M. le maréchal de Mac-Mahon n’est à leurs yeux, cela est bien clair, qu’un palliatif banal, un médiocre expédient. Ils l’ont cependant sanctionnée de leurs suffrages, cette prorogation, et ce serait maintenant se méprendre étrangement de croire qu’on n’a rien fait, qu’on peut chaque matin rentrer en campagne et tout remettre en doute. Chose étrange, les légitimistes ont été les premiers à invoquer la nécessité d’établir un régime définitif, et aujourd’hui ils n’ont d’autre souci que de prolonger le provisoire. Ils ont échoué dans leur tentative de restauration monarchique, et, puisqu’ils n’ont pas réussi à faire la monarchie, ils n’ont d’autre pensée que de supprimer jusqu’au nom de république. Ils viennent de concourir à la fondation d’une présidence septennale, et leur premier soin est d’empêcher qu’on ne croie à cette présidence, de revendiquer le droit de reprendre ou de continuer leurs entreprises. Le dépit et l’hallucination ne sont pas précisément de la politique.

Qu’on le veuille ou qu’on ne le veuille pas, les situations ont leur logique, les votes ont leurs conséquences. La prorogation est née de cette idée, qu’une certaine stabilité était nécessaire à la France. Si on a voulu faire une chose sérieuse, on doit désormais cette stabilité au pays avec les conditions qui peuvent la rendre possible. La première de ces conditions est le vote des lois constitutionnelles venant compléter le vote de la présidence septennale. Ces lois, elles deviennent une affaire de nécessité et de prévoyance pour le pays, pour l’assemblée, pour le gouvernement même qu’on vient de créer. Il faut bien en venir à un régime qui sera plus ou moins définitif, comme on le voudra, qui dans tous les cas sera un régime régulier. Aujourd’hui rien n’est régulier, tout est extraordinaire. Il y a un fait dont on ne paraît pas s’apercevoir beaucoup à Versailles. L’assemblée oublie qu’elle va bientôt être âgée de trois ans, et, s’il y a quelque chose d’étrange, d’anormal dans un pays, c’est cette existence indéfinie d’une assemblée unique qui est tout, qui résume tout, le gouvernement aussi bien que le pouvoir législatif, qui exerce le droit de grâce aussi bien que le droit de réviser des grades. Tant que la France se trouvait dans une situation exceptionnelle au lendemain de la guerre, tant qu’il y avait la paix à reconquérir, une formidable insurrection à dompter, le territoire à délivrer, l’ordre à rétablir partout, rien n’était plus simple. Maintenant ces épreuves sont passées, et il ne reste que ce phénomène d’une assemblée unique, om-