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se promettaient effectivement de se servir de la prorogation pour renouveler leurs tentatives ; ils craignaient de se lier pour trop longtemps. M. Jules Simon leur a prouvé qu’ils ne seraient pas liés du tout. M. Jules Grévy, de son côté, a visiblement froissé l’assemblée dans son orgueil, dans son autorité, en la mettant au défi, en lui refusant le droit de créer un pouvoir destiné à lui survivre. On croyait ébranler la majorité, on ne faisait que la raffermir et la fortifier en la piquant d’honneur, en donnant à toutes les fractions conservatrices une occasion ou un prétexte de se rallier. Puis enfin, qu’on tienne toujours compte de ceux qui subissent la pression des choses, l’influence naturelle du gouvernement, dès qu’ils se sentent placés entre une crise possible et une proposition qui, sans répondre à toutes leurs idées, leur donne une apparence de satisfaction. Ceux-là votent avec résignation pour éviter la crise, et c’est ainsi que, tout compte fait ; la prorogation pure et simple, telle qu’elle a été primitivement proposée par le général Changarnier, maintenue par la minorité de la commission, interprétée par M. le président de la république lui-même, et défendue au dernier moment par M. le duc de Broglie, a fini par rallier au scrutin non plus la modeste majorité de 15 ou 20 voix qu’on lui promettait à peine, mais une majorité de 68 voix. On a voté : la droite, moins quelques légitimistes extrêmes, le centre droit tout entier, quelques bonapartistes, quelques membres du centre gauche se sont rencontrés sous le même drapeau.

La question est seulement aujourd’hui de se fixer sur ce qu’on a voulu faire réellement, sur la signification de ce vote et de cette majorité. Il s’agit de savoir si ce pouvoir qu’on vient de créer sera organisé de façon à donner au pays la stabilité pour laquelle il a été fondé, ou s’il n’est qu’une combinaison de circonstance, un expédient imaginé dans un intérêt de parti, destiné à rester au service d’un intérêt de parti. C’est ici précisément que les contradictions les plus passionnées, les doutes les plus étranges, ont commencé à s’élever dès le lendemain de la grande bataille de la prorogation, et, à dire vrai, ces doutes ne seraient même pas possibles, si on avait voulu procéder plus simplement, si, au lieu de diviser ce qui était moralement et rationnellement indissoluble, la prorogation des pouvoirs et les lois constitutionnelles, on avait dès la première heure et d’un seul coup offert au pays cette double garantie de la présidence septennale e de l’organisation publique qui en est la condition nécessaire.

Ce qu’on n’a pas fait avant, il faut le faire après, et il n’y a plus même de choix désormais, tant la nécessité s’impose d’une façon irrésistible. Que les partis interprètent les événemens à leur manière et s’efforcent de tout ramener à la mesure de leurs illusions et de leurs espérances ou de leurs calculs, c’est leur rôle, c’est leur habitude. Les