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agrès, sa machine de 1,000 à 1,200 chevaux de force, ses chaloupes rangées sur les ponts ou placées en porte-manteau, les canons, les hommes, enfin une installation complète dans une scène animée. On a bien ainsi une idée de ces grands agens de locomotion qui, partant de l’Adriatique, se distribuent dans les échelles du Levant, y déposent leurs cargaisons et leurs voyageurs, puis, traversant le canal de Suez et la Mer-Rouge, vont en faire autant dans les grands ports de Ceylan et de l’Inde, et à travers le détroit de Malacca et les mers de Chine finissent par aboutir à Hong-kong et à Yeddo, pour recommencer quatre fois par an, à l’aller et au retour, le même itinéraire.

De toutes ces annexes de l’exposition générale, aucune n’a eu plus de vogue et produit plus d’effet que les galeries de peinture et de sculpture. On peut dire qu’à Vienne l’art a régné en maître et que le reste lui a été subordonné. Tous les états où l’on manie avec quelque succès le pinceau ou l’ébauchoir figuraient à ce rendez-vous; toutes les écoles de quelque importance étaient entrées en lice avec les meilleures pièces de leurs plus récentes collections : école de Dusseldorf, de Munich et de Cologne pour l’Allemagne, de Florence et de Rome pour l’Italie, de Leyde pour la Hollande, de Madrid pour l’Espagne, de Bruxelles et d’Anvers pour la Belgique, de Paris et de Lyon pour la France; la compagnie était choisie et à peu près complète. Aussi quelle fête pour les yeux! la foule ne s’en lassait pas et y revenait à plusieurs fois, de plus en plus extasiée. Nous avons payé trop chèrement nos excès d’autrefois en fait de vanité nationale pour ne pas être désormais sur nos gardes; il nous faut pourtant dire que, dans ce concours entre écoles, le premier rang a été assigné à l’école française par un jury composé en grande partie d’étrangers. Ce jury ne faisait qu’obéir à l’impression générale. Dans les toiles qu’avaient exposées les autres nations, il régnait on ne saurait dire quels airs d’emprunt et quelle affectation de manière, tantôt un apprêt visible, tantôt une fausse grandeur; dans les toiles envoyées de France, on retrouvait au moins par quelques traits un don qui se perd, le naturel, une qualité où une œuvre se relève, l’expression et par-dessus tout la touche personnelle du peintre et l’étude du modèle. Malgré quelques déviations, c’était encore une école dans toute l’acception du mot ; les scènes religieuses ou historiques, la mythologie, dont s’inspirait la tradition, avaient cédé le pas à des sujets plus familiers, à des tableaux de genre qui saisissaient le public par une forte exécution et une précision minutieuse du détail. Un autre mérite de ces peintures et de ces sculptures était le choix, où tout le monde s’était piqué d’honneur; chaque artiste n’avait détaché de son œuvre que ce qu’elle