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seignemens que ces œuvres peuvent fournir. Ce n’est pas aux très grands artistes qu’il faut s’adresser pour obtenir des informations à cet égard, car les très grands artistes, toujours préoccupés d’ordinaire d’universaliser et d’idéaliser leurs types, dédaignent les différences des familles parmi lesquelles ils vivent, et n’en prennent que les traits les plus généraux; c’est aux artistes qu’on peut dire locaux et aux œuvres qui ont été faites pour les localités. Eh bien ! ces œuvres, regardées avec une attention même moyenne, nous disent que depuis des siècles les types des diverses provinces n’ont subi aucune modification, aussi petite qu’elle soit. Prenons pour exemple cette sculpture, visiblement faite pour la localité et par un artiste du pays même, dont les modèles ont été auvergnats. S’il revenait au monde, pour les retrouver exactement tels qu’ils ont posé devant lui, il n’aurait qu’à se promener dans les alentours. Peut-être ne reconnaîtrait-il plus les paysages qui lui furent familiers, mais il en reconnaîtrait certainement les habitans, car la nature, sous son apparence immuable, a beaucoup plus changé que l’homme. Un de ces personnages surtout, un riche bourgeois ou une sorte d’échevin de Jérusalem, attire particulièrement l’attention, et de qui croyez-vous que ce personnage soit le portrait le plus ressemblant? De celle de nos notabilités auvergnates qui a été le plus en vue de notre temps. Cet échevin de Jérusalem, c’est M. Rouher transporté tout vif, en chair et en os, à une distance de quatre siècles en arrière; même rondeur de visage, mêmes traits, même taille, même forme ramassée et trapue, même tendance à l’obésité. Or nous sommes à Aigueperse, et M. Rouher est de Riom, qui n’est qu’à quelques lieues de là. J’avais été très souvent frappé de ce fait dans mes pérégrinations, mais jamais autant que cet été, à Saint-Mihiel en Lorraine, où je m’étais arrêté pour voir différentes sculptures de Ligier Richier, entre autres un saint-sépulcre célèbre et digne de l’être. En sortant de l’église où ce groupe admirable est placé, j’en reconnaissais un à un dans la rue tous les personnages. Pas un n’y manquait, et ils sont fort nombreux, si bien que j’aurais pu recomposer un groupe vivant absolument identique au groupe de pierre avec les personnes actuellement existantes dans la petite ville. Ainsi non-seulement le type provincial persiste, mais encore le type local le plus microscopique résiste au sein de la province. Ce groupe me disait de la manière la plus authentique, la plus irréfutable, que depuis plus de trois siècles le type lorrain de Saint-Mihiel n’a pas plus varié que le type lorrain général, et la sculpture d’Aigueperse nous affirme le même fait pour la population de ce district de l’Auvergne.

Une des chapelles contient un Mantegna représentant le Martyre