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tassemens de maisons, les ruelles obscures ou infectes, et laisse triomphalement circuler la lumière. Aigueperse contient plusieurs choses dignes d’intérêt. La plus célèbre et la plus visitée est un de ces petits édifices religieux connus sous le nom de saintes chapelles, qui contient deux jolies statues de la renaissance, l’une représentant la Vierge et l’autre un roi de France que la tradition nomme saint Louis, en quoi la tradition a tort, car ce roi porte au cou le collier de l’ordre de Saint-Michel. D’autres veulent y voir une effigie de Charles VIII; ceux-là ont moins tort que la tradition, mais je crois qu’ils se trompent, car cette chapelle rappelle d’une manière très précise les rois de France qui ont été particulièrement dévots à la Vierge. Or tous ces rois, par une coïncidence bizarre, ont porté le nom de Louis, saint Louis, Louis XI, Louis XIII : c’est donc vraisemblablement parmi les Louis qu’il faut chercher le nom de cette royale effigie; l’ornement du collier de Saint-Michel ne laisse le choix qu’entre Louis XI et Louis XII, et comme les traits de la statue se rapprochent singulièrement de ceux de Louis XII, c’est du nom de ce dernier qu’il la faut désigner.

Moins célèbre que cette chapelle des derniers jours du gothique, la jolie église de Notre-Dame, avec ses proportions modestes et ses formes compliquées, sa façade pleine, que perce comme un énorme œil-de-bœuf une bizarre rosace, et ses fluettes tourelles brodées à leur sommet d’un balcon de pierre, nous a plu davantage, d’abord parce qu’elle est supérieure au premier édifice, ensuite et surtout parce qu’elle nous a procuré ce plaisir de l’inattendu dont rien ne peut égaler la vivacité. Nombre de charmantes épaves de l’art sont venues s’échouer là, le plus grand nombre saines et sauves. Sous l’enfoncement d’une chapelle, je découvre les restes d’un groupe en pierre de grande dimension consacré à la sainte famille. La mutilation l’a fort défiguré, pas si bien cependant qu’on ne puisse en reconnaître l’ordonnance principale. Il représentait les trois personnages de saint Joseph, de la Vierge et de l’enfant étendus et endormis, sujet mainte fois traité par la peinture, surtout à partir de l’école des Carrache, qui en peuvent être dits véritablement les inventeurs, mais dont il ne me souvient pas que la sculpture se soit jamais emparée; ce groupe constituait donc une exception, et je le signale à titre de curiosité. Un fort remarquable groupe en bois sculpté du XVIe siècle, ou peut-être même antérieur, représentant une scène de la passion, nous fournit l’occasion de placer une remarque qui a son importance, c’est que la science n’a peut-être pas encore interrogé les œuvres de l’art autant qu’elle l’aurait dû pour constater ses théories soit sur la persistance, soit sur la fluidité des races. Elle ne s’en est guère servie que pour les très grandes races ou pour les très antiques civilisations; mais elle n’en a pas tiré pour les diverses familles des peuples tous les ren-