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tés un instant pour offrir au visiteur un passage qu’ils mesurent avec avarice, et qui n’auraient qu’un léger mouvement à faire pour le fermer entièrement. Un autre effet très curieux est l’effet de profondeur qui résulte de l’inégalité des deux arcs posés sur ces piliers. J’ai dit autrefois en parlant de Cluny que ce qui restait de la célèbre église prouvait que l’art roman pouvait se prêter tout autant que l’art gothique à la sublimité religieuse et à l’élévation mystique; ce qui est plus sûr encore, c’est qu’il est beaucoup plus apte que le gothique à créer la profondeur : cette entrée que je viens de décrire en est un témoignage. Trois ou quatre arcs cintrés placés à la suite l’un de l’autre vont faire croire qu’ils sont en succession infinie, tant le lointain obtenu est profond. Pour compléter l’impression de mystère de ce sanctuaire, un clair-obscur très sombre y règne, et ce clair-obscur semble avoir été voulu et calculé, car la lumière ne pénètre que par deux chapelles absidales placées aux deux côtés de l’autel, et que l’on ne découvre que lorsqu’on a franchi les redoutables piliers. Je n’ai rien vu qui donne mieux le sentiment de cette magie que le vulgaire est incliné à attribuer aux cérémonies du culte, rien qui dise mieux « n’approchez qu’avec respect et crainte.» Montluçon possède une seconde église, Notre-Dame, édifice gothique de la dernière période, resté inachevé et dont la seule partie qui ait été construite est elle-même incomplète. En dépit de quelques curiosités, par exemple de vieilles peintures sur bois représentant la vie de la Vierge, cette église est sans intérêt véritable, et Saint-Pierre accapare pour lui seul toute la dose d’admiration que le voyageur peut trouver à dépenser à Montluçon.

Il faut encore moins demander à Gannat qu’à Montluçon sous le rapport des plaisirs archéologiques. Cependant cette petite ville possède une très belle église, construite de siècle en siècle dans des styles très divers, mais qui se sont si bien soudés que ces disparates n’apparaissent qu’à l’examen détaillé, et que l’ensemble de tous ces styles a produit un résultat bien rhythmé et sans dissonances. C’est une église brillante, par l’architecture et les ornemens s’entend, car, pour la lumière, elle est aussi ténébreuse que des yeux malades peuvent la désirer. Ce crépuscule épais n’est pas sans charme; pourtant il ne laisse pas que d’être gênant pour l’examen des objets d’art que contient l’église, et il y en a plusieurs qui seraient dignes d’attention, si la vue humaine possédait les aptitudes nocturnes des yeux des chats-huans. Celui que nous avons le mieux distingué est un tableau d’un beau coloris, à la fois éclatant et sombre, tout semblable vraiment à la lumière crépusculaire de l’église où il est placé. Au bas de ce tableau, qui représente la Nativité, se trouve cette signature : Guido Franciscus, Aniciensis 1635, signature qui doit se traduire probablement ainsi : François Guidon,