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bon, et il le fut non par ses acquisitions, mais par sa progéniture. Louis II acquit des provinces, Charles Ier se contenta de mettre au monde des enfans et de leur chercher des alliances. Il y a décidément bien des manières d’être un personnage considérable, témoin Charles Ier de Bourbon, qui fut tel moins par ses actions que par l’heureuse fécondité de ses reins. Toute l’histoire du siècle qui le suit est véritablement son œuvre, car il l’a créée en chair et en os; il n’y a pas un grand acteur princier de cette époque postérieure qui ne découle directement de lui, depuis Pierre de Beaujeu, mari d’Anne de France, fille de Louis XI, jusqu’à Marie de Bourgogne, fille de Charles le Téméraire et femme de Maximilien, depuis Louise de Savoie, mère de François Ier, jusqu’à Philippe le Beau, père de Charles-Quint. Voilà pour les grands rameaux; mais pour les rameaux secondaires ou provenant de pousses bâtardes, où ne les ai-je pas rencontrés? A Lyon, à Nancy, à Liège, à Arnheim en Gueldre, au château de Busset, au château de La Palisse. Et ce n’est pas seulement pour les historiens que ce duc aux reins féconds est important, il l’est au moins autant pour les artistes, qui doivent bien retenir son nom, car la moitié des beaux monumens de cette époque qui font l’objet de leur étude et de leur admiration recouvrent les restes de sa descendance. Il est le beau-père de Charles le Téméraire et le grand-père de Marie de Bourgogne, qui dorment sous les mausolées de Bruges. Il est le grand-père de Philippa de Gueldre, femme de René de Lorraine, dont le monument est à Nancy. Les trois dormeurs des tombeaux de Brou lui appartiennent, car il est le père de Marguerite de Bourbon, le grand-père de Philibert le Beau de Savoie et le bisaïeul de Marguerite d’Autriche. S’il n’y eut jamais de postérité plus glorieuse, il n’y en a pas qui ait été plus somptueusement enterrée, et nous devons être reconnaissans au duc Charles de l’avoir mise au monde rien que pour les douces heures de dilettantisme sépulcral et d’agrément lugubre que nous n’aurions jamais goûtées sans elle. — N’oublions pas, avant de nous éloigner des tombeaux des ducs de Bourbon, de signaler les superbes grilles en pierre sculptée qui ferment les chapelles; on dirait des haies de pierre tordue et tressée : c’est la flexibilité de la matière vivante.

Visiter une église pareille à Souvigny est comme observer une goutte d’eau au microscope. Dans cette étroite enceinte dort tout un monde de souvenirs, aussi divers par le caractère qu’infinis par le nombre. Seulement de même que le monde que nous présente la goutte d’eau est plus ou moins étendu selon que la portée du microscope est plus ou moins grande, le monde de souvenirs que renferme une église semblable est en proportion du savoir du visiteur. Deux siècles entiers de notre histoire ont fait passer devant nos