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lot enfin pour se faire des partisans, passa son règne à donner une à une les terres de ses états; quand il en eut donné en quantité suffisante, la féodalité se trouva solidement formée, et il ne resta plus à la dynastie carlovingienne qu’à recommander sa mémoire aux siècles futurs et à se préparer pour l’éternité. Une fois bien muni de terres, Adhémar établit sa résidence à Souvigny, s’y fit clore de bons remparts et s’y fit construire un château qui passe pour avoir été considérable. À ce premier élément d’importance, l’esprit religieux de l’époque vint presque immédiatement en ajouter un second beaucoup plus durable. Peu de temps auparavant, l’abbaye de Cluny avait été fondée par Guillaume d’Aquitaine, et déjà le célèbre monastère étendait ses racines et multipliait ses rejetons; un de ces premiers rejetons fut un prieuré fondé par Adhémar presque aussitôt après son établissement à Souvigny. Le choix qu’ Adhémar avait fait de Souvigny pour lieu de résidence ne fut pas maintenu par ses descendans, qui probablement pour des raisons de défense militaire firent passer à Bourbon-l’Archambault l’honneur d’être capitale de leur petite seigneurie; mais Souvigny ne souffrit pas de ce changement de fortune. Il lui resta son abbaye, que rendirent illustre de saints personnages, et d’ailleurs, si elle n’eut plus la gloire de posséder ses maîtres vivans, elle eut celle de les posséder morts; Souvigny demeura le lieu de sépulture des princes de la maison de Bourbon jusqu’après Pierre de Beaujeu, l’époux de la fille de Louis XI.

L’ancienne église abbatiale de Souvigny est plutôt curieuse que belle, car il lui manque le premier et le plus essentiel des caractères de la beauté, l’harmonie. Fondée au Xe siècle, elle a été successivement soit reconstruite, soit agrandie par portions dans les siècles qui ont suivi, sans qu’on ait jamais eu souci de mettre les parties nouvelles en accord avec les parties anciennes que l’on conservait; aussi ne saurait-on imaginer de plus grandes dissonances de style que celles qui sont résultées de cette indifférence. C’est une église qui a été construite à peu près comme la nature a créé les terrains, chaque siècle apportant son alluvion et la superposant à l’architecture primitive. La façade, qui est d’un bel effet, appartient au style flamboyant, elle est flanquée de deux tours byzantines. A l’intérieur, les bas côtés, qui datent du XIe siècle, appartiennent au style roman le plus sévère et le plus sombre; ainsi en est-il de la partie antérieure de la grande nef; quant à la partie supérieure, elle est gothique. Le chœur et l’abside, étroits et bien dessinés, témoignent de la pureté de style qui distingua le XIIIe siècle, cet âge d’or du gothique. Aux deux côtés du chœur s’ouvrent deux chapelles; l’une, dite la chapelle vieille, qui renferme le tombeau de Louis II de Bourbon, étroite, sombre, basse, vraie chapelle funèbre, quoique ap-