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journée, on échangea des coups de fusil, mais sans grand résultat de part ou d’autre, car les Arabes se tenaient encore à distance : ils creusaient des tranchées et crénelaient les maisons pour tirer de là plus facilement sur les trois postes des assiégés. Dans la nuit, contre l’habitude des indigènes, qui ne se battent pas au milieu des ténèbres, la fusillade continua beaucoup plus rapprochée; ils firent même une tentative d’assaut sur le presbytère, mais furent repoussés avec de grandes pertes. Enfin le 22 au matin la lutte recommença plus terrible. Les Beni-Khalfoun s’étaient réunis aux Ammals, et toutes les tribus des environs étaient accourues; l’amin-el-oumena des Beni-Khalfoun était à leur tête. Placé sur un mamelon élevé, à 900 mètres environ du village, et monté sur un magnifique cheval noir, il lançait ses bataillons à l’assaut. Ce jour-là, les masses insurgées s’élevaient au moins à 15,000 hommes.

Les indigènes avaient compris que le presbytère était la moins forte des trois maisons défendues : c’est sur lui qu’ils portèrent tous leurs efforts. Encouragés par leurs chefs, ils attaquaient avec fureur. Toutefois la défense bien dirigée les tenait encore éloignés, et les communications restaient libres entre les trois postes; mais sur le soir ils réussirent à incendier la porte. Les assiégés, voyant que la position n’était plus tenable, sortirent par une porte de derrière, et, se frayant un chemin à la baïonnette, au prix de quelques pertes, parvinrent à gagner la gendarmerie. Par malheur, au même moment quatre hommes de la maison cantonnière, parmi lesquels le conducteur Ricard, à qui le commandement avait été confié, profitèrent de l’obscurité pour tenter de fuir : trois y réussirent, le quatrième fut tué. Ce déplorable abandon, en privant de leur chef les défenseurs du poste principal, leur fit perdre pour quelque temps l’énergie qui leur était nécessaire, et que plus tard le désespoir seul devait leur rendre.

Le presbytère était devenu la proie des flammes. Regrettant sans doute le butin qu’ils auraient pu faire, les insurgés résolurent de s’emparer des deux autres postes sans recourir à l’incendie. Dans cette intention, un homme de confiance du caïd des Ammals se présenta le lendemain matin en parlementaire devant la gendarmerie, promettant aux Européens qu’on leur laisserait leurs armes et qu’on les accompagnerait jusqu’au Fondouck. Un des chefs vint lui-même, au nom de ses alliés garantir ces propositions. Il y eut alors une sorte de suspension d’armes dont plusieurs colons profitèrent pour aller de la gendarmerie à la maison cantonnière voir leurs femmes et leurs enfans. Ils durent la vie à cette inspiration. Bientôt en effet les Arabes exigent des défenseurs de la gendarmerie la remise de leurs armes : ceux-ci résistent; les chefs arabes interviennent, mais pour trahir la parole qu’ils viennent de donner. Leur