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Tandis que le colonel Fourchault, rentré au camp de l’Alma, s’occupe de prévenir tout retour offensif de l’ennemi, et d’assurer l’alimentation de ses troupes et des nombreux colons que l’insurrection avait déjà privés de toute ressource, une dépêche télégraphique lui est remise de la part du général Lallemand. Il s’agissait de secourir le village de Palestro, surpris par les rebelles, et où quelques familles, disait-on, se défendaient énergiquement. Ce village, fondé en 1868 par le général de Wimpfen et situé à 79 kilomètres d’Alger, sur la grande route d’Alger à Constantine, comptait quarante feux au moment de l’insurrection. A la nuit tombante, laissant le reste de ses troupes à la garde du camp, le colonel Fourchault part sans bruit avec 600 hommes, zouaves et tirailleurs indigènes, 2 pièces d’artillerie, 15 mulets de cacolets et un certain nombre de cavaliers. Quelques colons da pays guidaient la marche. 17 lieues séparent l’Alma de Palestro : on les franchit à la hâte, car les minutes étaient précieuses, et vers une heure de l’après-midi, par une chaleur torride, sur le vaste plateau dont il occupe à peu près le centre, apparaissait le village de Palestro, déroulant au soleil son gai rideau de maisons blanches.

Cependant aucun bruit, cri ou coup de feu ne se faisait entendre aux environs; tout était morne, désert et silencieux. Le secours arrivait-il donc trop tard et la résistance de nos malheureux colons avait-elle été vaincue? Résolument, quoique avec précautions, nos soldats pénètrent dans le village; mais dès les premiers pas l’affreuse réalité se découvre à eux tout entière. Partout du sang et des ruines, partout des cadavres nus, mutilés, comme déchirés par la dent des bêtes féroces. Toutes les maisons avaient été pillées, un bon nombre incendiées ; celle de la gendarmerie surtout présentait un horrible aspect. On comprenait qu’en ce lieu avait dû se livrer une lutte à mort. Pas une pierre, pas une planche du parquet qui ne portât les traces du combat : les murs, percés de créneaux improvisés, étaient littéralement teints de sang. Le colonel Fourchault avait envoyé ses cavaliers explorer les abords du village, mais ils revinrent sans avoir rien trouvé : les Arabes avaient depuis longtemps disparu. Seul, un pillard, qui n’avait pas eu le temps de s’enfuir, fut rencontré rôdant au milieu des ruines. On en tira quelques renseignemens, et il fut passé par les armes.


II.

Les colons qui ont survécu au massacre de Palestro nous ont transmis les détails de ce sanglant épisode de l’insurrection de 1871. Aux premières nouvelles du soulèvement kabyle, une certaine effervescence eut lieu dans les tribus voisines de Palestro,