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détail que contenait le récit américain ; il n’y voyait pour sa part qu’un long tissu d’erreurs.

On s’étonne qu’un écrivain de mérite ait compromis de gaîté de cœur la réputation que lui avait value en Europe un ouvrage éloquent et consacré à une noble cause, en s’engageant avec tant de légèreté et si peu de profit pour personne dans une campagne scandaleuse contre une grande mémoire. Lors même que mistress Beecher Stowe eût cru Byron coupable du crime dont elle l’accusait, fallait-il le condamner sur le simple témoignage de la personne la plus intéressée à lui nuire; ne fallait-il pas se défier de la partialité de lady Byron dans sa propre cause et des habitudes mystiques qu’on lui connaissait? Une femme exaltée, qui se croyait en relation avec les êtres surnaturels et invoquait volontiers les esprits célestes, était-elle un témoin digne de foi dans un procès aussi grave? Comment un écrivain qui se respecte n’a-t-il pas reculé devant la pensée de déshonorer sans preuves le plus grand poète de l’Angleterre moderne? Si mistress Beecher Stowe, avant de publier son réquisitoire, eût simplement pris la peine de relire avec soin les pièces de vers que Byron adresse à mistress Leigh, elle y eût trouvé la réfutation la plus convaincante du récit qu’elle préparait, à moins qu’elle n’eût déjà perdu, outre la notion exacte de la délicatesse morale, le sentiment vrai des beautés littéraires. N’est-ce pas faire injure au poète et montrer en même temps peu de sagacité que de ne pas reconnaître parmi les sentimens factices qu’il a si souvent exprimés les accens les plus purs et les plus sincères qui soient sortis de son cœur? Le chaste langage de l’amitié fraternelle peut-il se confondre avec les transports cyniques d’un amour incestueux? Un frère oserait-il d’ailleurs adresser publiquement à sa sœur une déclaration amoureuse? La meilleure preuve de l’innocence des relations que Byron entretenait avec mistress Leigh n’est-elle pas la publicité qu’il leur donne? Ne prend-il pas en quelque sorte l’Angleterre à témoin de la pureté de ses sentimens lorsqu’il écrit ces touchantes paroles : « Ma sœur, ma douce sœur, s’il était un nom plus cher et plus pur, ce nom serait le tien. Des montagnes et des mers nous séparent; mais ce ne sont pas des pleurs que je demande, c’est une tendresse qui réponde à la mienne. En quelque lieu que j’aille, pour moi tu es toujours la même, ma sœur unique et bien-aimée; dans ton cœur, je sais que je suis en sûreté, comme tu l’es dans le mien. Nous avons été et nous sommes des êtres qui ne peuvent renoncer l’un à l’autre; réunis ou séparés, nous sommes toujours de même; depuis le commencement de la vie jusqu’à son lent déclin, nous sommes enlacés. Que la mort vienne lentement ou vite, le lien qui s’est formé le premier dure aussi le dernier. » Quoique l’opinion publique fût hostile à Byron, nul ne songea parmi ses