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garda moins de réserve et s’expliqua à son tour. Ces explications ne nous parviennent malheureusement que sous une forme indirecte, par des intermédiaires dont rien ne nous garantit ni la véracité ni l’intelligence. Quelle foi ajouterons-nous par exemple aux conversations que nous rapportent Medwin et lady Blessington? D’après quelques témoignages, confirmés d’ailleurs par une pièce de vers sanglante, le poète accusait surtout mistress Clermont, femme de charge ou dame de compagnie attachée à la personne de lady Byron, d’avoir envenimé les rapports entre lui et sa femme. C’est d’elle qu’il nous a laissé cet immortel portrait : «née au grenier, nourrie dans la cuisine, de là promue en grade, appelée à orner la tête de sa maîtresse, puis, — pour quelques gracieux services, qu’on ne nomme pas et qu’on ne peut deviner qu’au salaire, — élevée de la toilette, à la table, où ceux qui valent mieux qu’elle s’étonnent de se voir derrière sa chaise; d’un œil impassible, d’un front qui ne rougit pas, elle dîne dans l’assiette qu’autrefois elle lavait. » Suivant Medwin, lady Byron, poussée par mistress Clermont, aurait forcé le secrétaire de son mari et y aurait saisi des lettres d’amour, adressées à lord Byron antérieurement à son mariage, qu’elle aurait eu l’infamie d’envoyer elle-même au mari de la femme qui les avait écrites. Une telle action serait absolument injustifiable; si la jalousie explique, la violation d’un secret aussi sacré que celui d’une lettre, elle ne saurait servir d’excuse à une basse vengeance. Capable d’un trait de ce genre, lady Byron ne mériterait aucun intérêt. D’ordinaire les reproches que lui adresse lord Byron sont d’une nature moins grave ; il insiste surtout, en parlant d’elle, sur les habitudes méthodiques et compassées qui lui ôtaient la grâce de la jeunesse. Elle se gouvernait en tout d’après des principes fixes, avec une confiance absolue dans les règles qu’elle se traçait; comme le font souvent les esprits positifs, elle appliquait avec une rare intrépidité les procédés rigoureux des sciences exactes aux plus délicates analyses du cœur humain, ne tenant compte ni du caprice, ni de la fantaisie, ni des droits de l’imagination, ramenant tout à des formules ou à des syllogismes. Elle eût été mieux à sa place dans une chaire de l’université de Cambridge, disait Byron, que dans la maison d’un poète. Si ce portrait est vrai ou du moins paraissait vrai à celui qui le trace, quoi d’étonnant que deux natures si dissemblables se soient si mal accordées ?

Lady Byron, telle que nous la représente son mari, était-elle tenue de supporter la vie dans des conditions si douloureuses pour elle, de sacrifier ses goûts, ses habitudes et jusqu’à ses plus chères convictions à la paix du ménage? Personne ne l’a prétendu, pas même lord Byron, tout intéressé qu’il fût à lui découvrir des torts. Si la vie lui paraissait insupportable sous le toit conjugal, si les procédés de son