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La clairvoyance naturelle et la pénétration acquise de lady Byron ne lui permettaient de s’abuser ni sur l’état de son mari ni sur la difficulté d’y remédier. Elle attribuait son malheur à son goût pour les émotions fortes, à son désir de varier par une série de coups de théâtre la monotonie de l’existence. Il a besoin de se fuir, disait-elle, d’échapper au trouble de ses pensées; il ne le peut qu’à force de stimulans. C’est pour cela qu’il aime à tourmenter les autres, à jouer et à boire. Est-ce son corps, est-ce son esprit qui est malade? se demandait-elle avec le sang-froid d’un médecin. Après l’avoir longtemps observé, elle le croyait surtout en proie à l’ennui; mais, suivant elle, cette maladie morale n’était que la conséquence d’un malaise physique, d’un trouble habituel de l’estomac causé par des alternatives d’abstinence et d’excès. Elle n’y connaissait qu’un remède, la distraction; mais les distractions que préférait lord Byron aggravaient son mal au lieu de le guérir. « Je sais comment tout cela finira, si la maladie augmente, » disait-elle à mistress Leigh. Elle paraît avoir cru dès ce moment-là que l’agitation d’esprit de lord Byron aboutirait nécessairement à la folie. Peu de temps avant d’accoucher, elle passait ses nuits à ruminer ces sombres pressentimens qui prirent chez elle le caractère d’une idée fixe. Une femme vraiment tendre aurait-elle poussé si loin l’esprit d’analyse et soumis l’être aimé à une aussi minutieuse dissection? On sent ici un peu de sécheresse sous la sagacité implacable de l’observation. Les raisonnemens de lady Byron ont la froideur d’une déduction logique ou d’un diagnostic médical. Quand on aime, on observe moins librement, on juge moins sévèrement les défauts des autres; on trouve toujours pour eux au fond du cœur quelque excuse ou quelque espérance.

L’histoire de la séparation se trouve ainsi écrite dans les premières confidences que lady Byron adresse à mistress Leigh et à lady Barnard. Après avoir entendu la plaidoirie de la femme, il serait nécessaire, avant de se prononcer, de donner la parole au mari. Lord Byron avait écrit des mémoires; il y racontait en détail ce qui s’était passé entre lui et lady Byron, il avait même poussé le scrupule jusqu’à prier sa femme de prendre connaissance de son récit pour en rectifier au besoin les erreurs. Lady Byron refusa de lire le manuscrit, exprima le désir qu’il ne fût point publié et obtint qu’on le détruisît après la mort du poète. Il nous reste par conséquent peu d’informations précises sur les incidens domestiques que lord Byron aurait pu invoquer pour sa défense, encore moins sur ses propres griefs. Dans les premiers momens de la séparation, il ménagea beaucoup lady Byron, se donna tous les torts et pria ses amis de ne jamais le défendre aux dépens du caractère de sa femme. Plus tard, aigri par la durée d’un ressentiment qu’il avait espéré apaiser, il