Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 108.djvu/608

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gnait à aucune habitude, ne savait ni se coucher ni se lever, ni manger à des heures déterminées. L’imprévu, le caprice, l’humeur du moment, disposaient de l’emploi de ses journées. Souvent il veillait toute la nuit, ne se couchait qu’au jour et ne se levait que dans l’après-dînée. Sa femme ne put obtenir de lui qu’il modifiât ce genre de vie. Elle en fut certainement offensée; elle souffrit surtout, dit-on, de ne prendre avec lui aucun repas en commun. Les heures où l’on se met à table sont des heures de joie, de liberté, de tête-à-tête affectueux pour un jeune ménage. Quand on a été séparé le reste du jour par les occupations du mari, c’est là qu’on se retrouve et que les cœurs s’épanchent. Byron mangeait à peine, à des heures irrégulières; la sobriété qu’il s’imposait par un effort de sa volonté s’accommodait mal du spectacle fréquent de l’appétit des autres, il aimait mieux éviter la tentation et la contagion de l’exemple. On dit de plus qu’il lui était désagréable de voir une femme manger, comme si une opération d’une nature si vulgaire ne convenait point à un être si délicat. Dès les premiers temps de son mariage, il laissait donc lady Byron prendre ses repas toute seule. Rien de plus triste pour une jeune femme, rien qui puisse la blesser davantage par un air de négligence auquel les plus raisonnables ne sont point insensibles. Lors même que lady Byron eût supporté sans se plaindre ce manque d’égards, pouvait-elle s’accoutumer aux irrégularités de son mari ? Tous les témoignages nous la représentent comme une personne méthodique, habituée à régler exactement l’emploi de son temps. Quand on aime l’ordre passionnément, on ne se résigne qu’avec une peine infinie au spectacle du désordre. Il suffit quelquefois de dissentimens moins graves pour désunir un ménage. Il y a des gens qui reviennent difficilement de leurs premières impressions; peut-être lady Byron ne se remit-elle jamais de la pénible surprise que lui avaient causée les excentricités de lord Byron. Tout le monde autour d’elle vivait autrement que son mari, lui seul faisait exception à la règle commune; si elle rêvait, comme tout le fait croire, une destinée calme, une vie régulièrement ordonnée, que ne dut-elle pas souffrir en se voyant déçue dans ses plus chères espérances ?

Une femme de cœur, attachée à ses devoirs et à ses affections, se résigne quelquefois à de douloureux sacrifices; elle peut au besoin s’oublier elle-même et renoncer à ses goûts, mais à la condition qu’on lui saura gré de son dévoûment, qu’on en profitera tout au moins, qu’elle sera récompensée de ce qu’elle sacrifie par le bonheur qu’on lui devra, dont il ne sera que juste de lui reporter le mérite. Si cette consolation lui est refusée, si les épreuves auxquelles elle se soumet ne rendent ni plus heureux ni moins triste l’homme à qui elle les offre, pourquoi se sacrifierait-elle sans profit pour personne? Tel fut,