Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 108.djvu/605

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

On eût dit qu’au moment de s’engager d’une manière définitive Byron était assailli de pressentimens douloureux. Il se leva tristement le matin de la cérémonie, jeta un regard mélancolique sur ses vêtemens de noce étendus dans sa chambre, et, sans demander à voir ni sa fiancée, ni sa nouvelle famille, se promena solitairement jusqu’à ce qu’on l’appelât pour se rendre à l’église. Une autre image, dit-il dans le Rêve, où il se donne en spectacle à lui-même, l’image de son premier amour, Mary Chaworth, se dressa devant lui au pied de l’autel. « Je le vis... avec une aimable fiancée; le visage de celle-ci était beau, mais ce n’était pas l’étoile qui avait lui sur sa jeunesse. Il se tint debout, calme et tranquille, il prononça les vœux nécessaires, mais il n’entendit pas ses propres paroles, et tous les objets tournèrent autour de lui. » Son ami Moore, qui le vit à Londres moins d’un mois avant son mariage, fut peu satisfait des dispositions où il le trouva, et ne put se défendre de quelques inquiétudes. Ces premiers nuages se dissipèrent néanmoins; les lettres qu’il écrit à ses amis dans les mois de janvier et de février 1815 ne respirent que le contentement et la bonne humeur; le mariage lui paraît le plus ambrosial des états; si l’on faisait des baux entre époux, il en ferait un de quatre-vingt-dix-neuf ans. Il parle aussi de la bonne santé et de la gaîté constante de lady Byron. Il est vrai que de temps en temps ses instincts d’indépendance reparaissent; il propose à Moore un voyage en Écosse et même en Italie, où leurs femmes ne les accompagneraient point. L’idée d’une longue séparation ne cause à ce nouveau marié aucune frayeur; il s’y arrête même avec une sorte de complaisance. Le 10 décembre, il lui naît une fille qui doit resserrer les liens des deux époux; mais le 5 janvier 1816 Moore reçoit une lettre dont le ton lui fait pressentir quelque chagrin domestique. La catastrophe approche; le 15 du même mois, lady Byron, à peine remise de ses couches, quitte Londres et son mari pour se rendre chez son père dans le comté de Leicester; il est convenu que lord Byron la suivra de près. Tous deux se séparent avec l’apparence de la tendresse; en route, lady Byron écrit à son mari une lettre fort affectueuse, dont on a un peu ri en Angleterre, où elle appelle Byron « son cher canard. » Puis tout à coup le père de la jeune femme notifie à son mari qu’elle ne rentrera pas au domicile conjugal. Depuis lors en effet, les deux époux ne devaient pas se revoir; ils n’avaient vécu ensemble qu’un an et quelques jours.

D’où vient cette résolution soudaine et déjà irrévocable de lady Byron? Comment écrit-elle si affectueusement à un mari dont elle se sépare, ou comment se sépare-t-elle d’un mari qu’elle paraît aimer? Entre le moment où lady Noël prie son gendre d’aller re-