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reposait son âme endolorie par l’image d’une sérénité inaccoutumée. Les malheureux fuient la société des hommes ; le monde n’a que de l’indifférence pour des douleurs qu’il ne comprend pas toujours et qu’il ne dépend pas de lui de partager. Byron, sans se chercher lui-même, cherchait la solitude : c’est là seulement qu’il retrempait ses forces ; il y retrouvait, avec le sentiment de blessures toujours saignantes, le meilleur moyen d’échapper à l’obsession douloureuse qui le poursuivait par la contemplation des spectacles naturels ou par l’effort énergique du génie aux prises avec le malheur. Il y a des âmes lyriques que ni la douceur de l’amitié ni les caresses de l’amour ne consolent aussi bien dans leurs heures d’amertume que les confidences involontaires qu’elles se font à elles-mêmes avant de les faire au public. L’âme de Byron était de celles-là. On montre encore au cimetière de Harrow, sous un grand orme, une tombe où il aimait à s’asseoir, loin de ses camarades, où la nuit le surprenait quelquefois absorbé dans ses rêves. Pendant ses voyages en Orient, après s’être baigné sur quelque plage solitaire, il s’arrêtait de longues heures à contempler du haut des rochers l’immensité de la mer. Il confessait lui-même, un peu plus tard, qu’en compagnie de la femme la plus aimée il lui arrivait souvent de soupirer après la solitude.

Tel était le jeune homme de vingt-six ans dont miss Milbanke acceptait, au mois de septembre 1814, les propositions de mariage. Quoiqu’elle ne le connut qu’imparfaitement, elle en savait assez sur son compte pour avoir refusé sa main une première fois, au commencement de 1813. Lord Byron ne dissimulait pas ses défauts, il en tirait plutôt vanité par amour du bruit et de l’effet. Il ne lui déplaisait pas d’ajouter à sa réputation de grand poète celle d’un héros de roman. Qu’on le crût capable, comme les personnages de ses poèmes, comme le Giaour et le Corsaire, d’inspirer de grandes passions, il s’en félicitait plutôt que de s’en plaindre; qu’on lui attribuât même des aventures d’un ordre moins élevé, il ne prenait aucun soin de s’en défendre. Il encourageait volontiers par des airs mystérieux ou des demi-confidences les exagérations de la médisance publique, qui prête toujours à un homme célèbre plus de bonnes fortunes que la réalité ne lui en procure. Dès 1813, miss Milbanke ne pouvait ignorer ce qui se répétait partout; on avait nécessairement parlé devant elle, dans le monde où elle vivait, des succès de lord Byron, de l’admiration qu’il inspirait à la société anglaise, et des passions qu’il avait fait naître. C’étaient même les raisons apparentes de son refus. Une jeune personne fière et d’un esprit élevé devait exiger de son mari des qualités bien différentes de celles que la renommée attribuait au poète. Il semble néanmoins que dès cette époque miss Milbanke, sans vouloir s’engager, éprouva un attrait