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bâtard de la maison princière ? Les décrets du ciel paraissaient rendre la monarchie impossible : on disait que le pape n’était pas éloigné de l’idée de rétablir la république, Machiavel, avec plus de raffinement que de sagacité vraie, écrivit en 1520 son Discours à Léon X, où il était d’avis de revenir au gouvernement populaire en laissant l’autorité plus ou moins cachée entre les mains du pape et de son cousin le cardinal Jules. Il fut bientôt manifeste que l’ancien secrétaire n’avait pas deviné la pensée du chef des Médicis.

L’écrivain n’en était pas moins acquis à cette famille par tant de marques précises de zèle : son livre de l’Art de la guerre, imprimé en 1521, n’est pas républicain ; son patriotisme se réfugie désormais tout entier dans l’indépendance de l’Italie et dans la création de milices nationales. Il y a même ici une leçon que devraient bien entendre les pays qui ont le malheur de se diviser sur les formes politiques. « J’aime ma patrie, écrivait-il tandis que le connétable de Bourbon parcourait l’Italie avec ses bandes espagnoles et allemandes, et, je vous le dis avec mon expérience de soixante années, je ne crois pas que jamais on fut aux prises avec des momens plus difficiles, où la paix est nécessaire et où la guerre ne peut être suspendue. » Ces fatalités-là n’existent pas pour les pays qui ont une armée. Avoir une bonne armée, voilà une question plus importante encore que celle de la monarchie ou de la république, voilà pour les nations la question d’Hamlet : c’est alors qu’il s’agit d’être ou de ne pas être.

Une circonstance bien curieuse et qui donne encore à penser, c’est que Machiavel est admirateur décidé des troupes allemandes. En Espagne, en France, en Italie, la guerre est un métier ; il a vu le contraire en Allemagne. Les communes de ce pays, avec leurs libertés bourgeoises, leur frugalité primitive, leurs occupations militaires, lui ont inspiré un intérêt qui reparaît souvent dans ses écrits. « Ils ne dépensent pas en soldats, dit-il, parce qu’ils maintiennent leurs hommes armés et rompus aux exercices ; les j’ours de fête, ces hommes pour tous jeux manient, l’un l’arquebuse, l’autre la pique, celui-ci une arme, celui-là une autre, et ils ne mettent pour enjeu que des honneurs ou distinctions semblables. » Ses propres efforts pour lever des soldats dans le domaine de la république l’avaient préparé à souhaiter pour son pays des troupes analogues. Ses études sur les Romains, ces grands ancêtres de sa nation, l’avaient convaincu de la nécessité d’avoir des armées nationales, — libre ensuite aux hommes du métier, aux capitaines du XVIe siècle et aux soudards tels que Brantôme de se moquer « de ce bon galant de Machiavel, » qui prétendait donner des leçons d’un art qu’il ne connaissait pas. Ce n’est pas le détail de son ouvrage ni sa chimère de la légion romaine à rétablir, c’est la nationalité de l’armée, c’est le principe du