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disait-il, la loi te permet de la tuer sans jugement. Si par hasard elle te surprenait dans la même situation, elle n’oserait pas te toucher du bout des doigts ; la loi le lui défend. » L’empereur Antonin fit disparaître cette différence, et l’adultère du mari fut puni comme celui de la femme.

Quoique la législation de l’empire porte la trace évidente des changemens qui s’accomplissent alors dans la condition des femmes, c’est ailleurs qu’il faut regarder, si l’on veut savoir véritablement jusqu’à quel point elles étaient libres. Ceux qui s’imaginent que leur émancipation est une conquête récente et qui en félicitent à tout moment le monde moderne seraient, je crois, fort surpris, si, au lieu d’étudier toujours le monde ancien dans les livres des philosophes ou des jurisconsultes, ils consentaient à le regarder un peu dans la réalité et dans la vie. Les inscriptions nous donnent sur ce point des renseignemens fort curieux. Nous sommes moins disposés, après les avoir considérées de près, à plaindre les femmes de Rome, nous trouvons même qu’elles jouissaient de privilèges que celles de nos jours ne possèdent plus. Elles avaient le droit de former, comme les hommes, des associations qui se donnaient des chefs à l’élection. L’une d’entre elles porte le nom respectable de « société pour la conservation de la pudeur, Sodalitas pudicidœ servandœ. » À Lanuvium, il y en avait une qui se nommait « le sénat des femmes, » et ce nom rappelle une institution fort curieuse de Rome, qui, par malheur, nous est assez mal connue ; c’est ce qu’on appelait u la réunion des matrones, conventus 7natronarumy » où se rassemblaient les femmes de grande maison. Suétone rapporte qu’on s’y disputait souvent fort aigrement, et même qu’on s’y battait quelquefois. Une fantaisie de l’empereur Héliogabale donna à cette réunion une importance politique. Il régla de quelles personnes elle serait composée, quels jours on s’y rassemblerait, et voulut qu’elle portât le nom de « petit sénat, senaculum. » On y faisait des sénatus-consultes pour trancher toutes les questions d’étiquette ; on y décida par exemple quel devait être le costume des femmes selon leur rang, à qui appartenait la préséance dans les cérémonies, quand deux d’entre elles se rencontraient, laquelle devait faire les premiers pas pour venir embrasser l’autre, de quelle espèce d’attelage ou de voiture chacune pouvait se servir, pour qui était réservé l’usage des chars traînés par des chevaux ou des mules, des chaises à porteurs garnies d’argent ou d’ivoire, qui avait le droit de mettre de l’or ou des pierreries sur ses chaussures, etc. Cette institution bizarre, détruite à la mort d’Héliogabale, qui lui avait donné des attributions ridicules, fut sans doute rétablie par un de ses successeurs, puisqu’elle existait du temps de saint Jérôme ; elle a donc duré autant que l’em-