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livre pour Julien : il y travaille, nous le savons positivement, de 1513 à 1515 ; tout à coup ce prince meurt à trente-sept ans, et tout cet édifice de principauté nouvelle, de monarchie italienne, croule avec lui en 1516. Le législateur sans emploi, le constituant bénévole de monarchies et de républiques est contraint d’abandonner ses projets d’unité plus ou moins complète sous un prince italien.

Il se tourne vers la liberté, et compose les Discours sur Tite-Live, œuvre en général républicaine : il y travaille en 1517, durant la guerre d’Urbin[1]. Remarquez qu’il y renonce à l’unité italienne, et c’est là qu’est le passage célèbre sur l’incompatibilité de cette unité avec le pouvoir temporel des papes. Ainsi d’un côté l’on a dans le Prince l’unité possible avec une monarchie et l’éloge complet de la papauté, qui est un des moyens de cette unité puisque le pape est proche parent du prince, de l’autre on a dans les Discours la république, hostile à un pape qui est un Médicis, et se renfermant dans l’horizon de Florence.

En 1518, le monarque perdu est retrouvé. Cette veuve de Pierre de Médicis, cette Alphonsine à qui Machiavel avait raconté la chute du gouvernement républicain, obtient de Léon X, son beau-frère, que son fils Lorenzo ajoute à l’autorité plus ou moins voilée qu’il a dans Florence une couronne réelle et visible qui est celle d’Urbin. La république après tout n’existe que de nom dans la patrie de Machiavel, au dehors tout sourit à l’ambition du jeune Lorenzo. Il a l’Emilie et la Romagne, il touche Milan d’une main, et de l’autre, grâce à son oncle le souverain pontife, il atteint jusqu’aux frontières du royaume de Naples. Le roi catholique est de ses amis, et la France ne saura pas plus se maintenir en Italie que par le passé. L’écrivain lui dédie en cette même année le Prince, son œuvre la plus travaillée jusque-là la plus parfaite : elle nous déplaît fort par le côté moral, mais il n’est pas sérieux d’accuser l’auteur d’avoir trahi ses convictions.

Si la consistance politique de Machiavel a été dans son temps à l’abri du reproche, il n’est plus nécessaire d’avoir recours à je ne sais quel système invraisemblable d’ironie, par lequel l’auteur donnerait à entendre le contraire de ce qu’il dit, et à force de représenter le gouvernement d’un seul sous d’odieuses couleurs ferait l’éloge détourné du gouvernement populaire. Sans doute il y a telle page du Prince qui est rebelle à toute apologie. Quand l’écrivain prétend que chacun de nous tient de l’homme et de la bête, et que le prince doit jouer tour à tour ces deux rôles, quand il veut qu’on choisisse entre les animaux le lion et le renard pour les imiter successivement, qu’on soit renard pour se défendre des filets de la ruse

  1. livre II, chap. 10.