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fut rétabli, l’opinion était changée. Malgré le désir qu’affichait Auguste de faire revivre le passé, il n’était plus possible de revenir tout à fait aux anciennes maximes. À partir de ce moment, on ne songe plus à s’étonner de voir, les personnes du meilleur monde jouer de la cithare ou de la lyre, danser ou faire des vers. Horace, dans l’ode où il célèbre, sous le nom de Licymnia, la femme charmante de Mécène, qui fut une des passions d’Auguste, n’hésite pas à la louer de bien chanter, puis il ajoute « il ne lui messied pas non plus de se mêler aux chœurs de danse, de prendre part aux jeux folâtres et d’entrelacer ses bras à ceux des jeunes filles dans les jours de fête. » Le poète Stace, qui n’était pas riche, comptait sur les talens de sa fille pour la marier : pouvait-elle manquer de faire la conquête d’un époux, elle qui jouait si bien de la lyre ; qui savait agiter ses bras blancs dans des mouvemens cadencés et chanter les vers de son père d’une manière à rendre les muses jalouses ? Pline nous apprend que sa femme, Calpurnia, prenait le plus grand soin de sa gloire littéraire ; elle lisait et relisait ses livres, elle les apprenait même par cœur, elle mettait ses vers en musique et les chantait en s’accompagnant de la cithare. « Aucun musicien, disait Pline d’un air ravi, ne lui a donné des leçons ; elle est l’élève de l’amour, le meilleur des maîtres. » Ces talens, acquis ou naturels, n’étaient pas ceux que les vieux Romains vantaient chez leurs femmes. Si elles les avaient possédés ; ils en auraient peut-être joui chez eux aux heures de retraite et de solitude, mais ils se seraient bien gardés d’en faire confidence au public. Du temps de Pline, on n’avait plus ces scrupules. L’histoire nous montre que pendant tout l’empire les femmes ont été moins esclaves des anciens préjugés, plus libres, plus mêlées au monde et fort occupées d’y paraître avec avantage. Quelques esprits chagrins s’en affligeaient ; il y a une nuance de mécontentement et de regret dans cette réflexion de Tacite à propos de Livie : « elle était plus avenante qu’on ne l’eût permis à une femme d’autrefois. » Sans doute cette avidité de plaire, cette recherche des agrémens de l’esprit, cette facilité de mœurs, pouvaient présenter quelques dangers, mais il faut se souvenir avant de les condamner, qu’elles avaient aussi des avantages. Il est possible, quoique cette opinion ait d’abord l’air d’un paradoxe qu’elles aient servi à préserver ce qui restait à Rome de la vie de famille. N’oublions pas, quand nous jugeons la conduite des femmes sous l’empire, qu’en cultivant des arts que l’opinion semblait jusque-là leur défendre, en devenant plus mondaines, en essayant d’être plus attrayantes, elles diminuaient la tentation que l’homme pouvait éprouver de placer en des lieux différens son affection et son estime, son devoir et son plaisir, et que c’est à ce prix peut-être que les Romains ont évité ce