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prend à chanter, ce que nos aïeux regardaient comme honteux pour un homme libre. Des jeunes filles, des jeunes gens de bonne maison, s’en vont dans les écoles de danse parmi les baladins. On me l’avait bien dit, mais je ne pouvais pas croire qu’on pût donner une éducation pareille à ses enfans quand on portait un nom honorable. On m’a conduit dans une de ces écoles, et, par Hercule ! j’y ai vu plus de cinq cens garçons ou filles. Dans cette foule, il y avait (j’en rougis pour Rome !), le fils d’un candidat aux honneurs publics, un enfant de douze ans, portant encore la bulle a son cou, qui dansait avec des crotales une danse tellement impudique qu’un esclave débauché ne se la permettrait pas sans rougir ! » La danse était plus rigoureusement interdite que le chant, mais la musique même était suspecte : c’est un art qui s’adresse moins à la raison qu’à la sensibilité, qui fait plus rêver qu’agir, et l’on voulait qu’une femme fût prête à l’action comme un homme.

Cette éducation n’a pas peu contribué sans doute à donner aux Romaines des premiers siècles leur caractère énergique et viril. Peut-être trouvera-t-on qu’elles ont poussé ce caractère un peu, trop loin. On aime aujourd’hui chez la jeune fille un air plus timide, quelque chose de plus tendre et de moins résolu. La faiblesse paraît un de ses plus grands attraits. Les Romains pensaient que la force vaut mieux. Quand l’homme élève la femme pour lui, il est naturel qu’il cherche à lui donner surtout la douceur et la grâce ; il n’y a rien qui la rende plus agréable à ceux qui doivent vivre près d’elle ; mais s’il s’agit d’élever les femmes pour elles-mêmes et dans leur intérêt, si l’on veut qu’elles soient capables de remplir un rôle actif dans les luttes de la vie, il faut qu’elles acquièrent d’abord les connaissances qui leur permettent d’y prendre part sans trop d’infériorité. Si l’on n’a pris soin de former leur esprit et de tremper leur âme d’une certaine façon, elles y seront trop facilement vaincues. On a été quelquefois choqué d’entendre dire à La Bruyère qu’on ne peut rien mettre au-dessus d’une belle femme qui aurait les mérites d’un honnête homme. Cette maxime, qui pouvait surprendre au XVIIe siècle, devient plus vraie tous les jours. Dans une société comme la nôtre, où les relations du monde ont un peu perdu de leur importance, où l’on vit plus retiré, les qualités qui brillent surtout hors de la maison et dont on se met principalement en dépense avec les étrangers, ont moins de prix : Au contraire, on s’attache de plus en plus à celles qui sont de mise chez soi et dans la pratique de la vie commune, la sûreté du commerce plus en plus à celles qui sont de mise chez soi et dans la pratique de la vie commune, la sûreté du commerce, la solidité de la raison, la justesse de l’esprit, la fermeté du caractère. Il ne faut pas être un grand prophète pour prévoir que, la situation des deux sexes devenant de plus en plus semblable, l’éducation des femmes se rap-