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voulu l’arracher. Adieu ; je vous en veux horriblement ! écrivez-moi bien vite.


Paris, 20 août 1848.

Depuis quelques jours, on s’attend à une bagarre. On prédit des coups de fusil pour la discussion de l’enquête. Je suis si entêté dans mes idées que je n’y crois pas encore; mais je suis à peu près seul de mon avis. La situation est au fond bien embrouillée. Elle ressemble comme deux gouttes d’eau à celle de Rome pendant la conjuration de Catilina. Seulement il n’y a pas de Cicéron. Quant à l’issue d’une émeute, je ne doute pas que la bonne cause ne triomphe. Personne n’en doute, mais avec des fous il ne faut pas compter sur des entreprises raisonnables; peut-être en effet ai-je tort de croire que l’impossibilité de réussir empêche cette émeute susdite. Nous verrons au reste, la semaine prochaine. Mercredi, la discussion doit commencer; l’enquête me paraît surtout prouver une chose, c’est la profonde division des républicains entre eux. Il est évident qu’il n’y en a pas deux de la même opinion. Ce qu’il y a de plus fâcheux, c’est que le citoyen Proudhon a un grand nombre d’adeptes et que ses petites feuilles se vendent à milliers dans les faubourgs. Tout cela est fort triste; mais, quoi qu’il arrive, nous vivrons longtemps de cette vie-là, et il faut nous y accoutumer. Le point qui me paraît capital, c’est de savoir si vous viendrez le 25. S’il doit y avoir bataille, elle sera perdue ou gagnée ce jour-là. Ainsi ne faites pas encore de projets, ou plutôt faites celui de venir assister à notre victoire ou à notre enterrement pour le 25. Une autre chose me chagrine : c’est que la chaleur s’en va, le beau temps se passe, et il n’y aura plus de pêches à votre retour. Les feuilles commencent à jaunir et à tomber. Je prévois tous les ennuis du froid et de la pluie, qui me semblent beaucoup plus graves et beaucoup plus certains que l’émeute. Je suis malade depuis quelques jours, c’est peut-être pour cela que je suis triste. Je n’ai pas besoin de vous dire que je serais très contrarié de mourir avant notre déjeuner à Saint-Germain, qui, je l’espère, tiendra toujours. Adieu; écrivez-moi vite. Vous ne devriez pas taquiner les gens de si loin.


Paris, jeudi soir, 2 décembre 1851.

Il me semble qu’on livre la dernière bataille; mais qui la gagnera? Si le président la perd, il me semble que les héroïques députés devront céder la place à Ledru-Rollin. Je rentre horriblement fatigué et n’ayant rencontré que des fous, à ce qu’il m’a paru. La mine de Paris me rappelle le 24 février; seulement les soldats font peur aux bourgeois. Les militaires disent qu’ils sont sûrs du succès;