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J’aime beaucoup votre histoire du portrait de cet enfant. Vous êtes faible et jalouse, deux qualités dans une femme et deux défauts dans un homme. Je les ai tous les deux. Vous me demandez quelle est l’affaire qui me préoccupe. Il faudrait vous dire quel est mon caractère et ma vie, chose dont personne ne se doute, parce que je n’ai pas encore trouvé quelqu’un qui m’inspirât assez de confiance. Peut-être que, lorsque nous nous serons vus souvent, nous deviendrons amis, et vous me connaîtrez; ce serait pour moi le bien le plus grand que quelqu’un à qui je pourrais dire toutes mes pensées passées et présentes. Je deviens triste, et il ne faut pas finir ainsi. Je suis dévoré du désir d’une réponse de vous. Soyez assez bonne pour ne pas me la faire attendre.

Adieu; ne nous querellons plus et soyons amis. Je baise respectueusement la main que vous me tendez en signe de paix.


25 septembre.

Votre lettre m’a trouvé malade et fort triste, fort occupé des plus ennuyeuses affaires du monde, et je n’ai pas le temps de me soigner. J’ai, je crois, une inflammation de poitrine qui me rend extrêmement maussade; mais dans quelques jours je me propose de me dorloter et de me guérir.

Mon parti est pris. Je ne quitterai pas Paris en octobre, dans l’espérance que vous y reviendrez. Vous me verrez ou vous ne me verrez pas, à votre choix. La faute en sera à vous. Vous me parlez de raisons particulières qui vous empêchent de chercher à vous trouver avec moi. Je respecte les secrets et je ne vous demande pas vos motifs. Seulement je vous prie de me dire really truly si vous en avez. N’êtes-vous pas plutôt préoccupée d’un enfantillage? Peut-être vous a-t-on fait à mon sujet quelque sermon dont vous êtes encore toute pénétrée. Vous auriez bien tort d’avoir peur de moi. Votre prudence naturelle entre sans doute pour beaucoup dans votre répugnance à me voir. Rassurez-vous, je ne deviendrai pas amoureux de vous. Il y a quelques années, cela aurait pu arriver; maintenant je suis trop vieux et j’ai été trop malheureux. Je ne pourrais plus être amoureux, parce que mes illusions m’ont procuré bien des desengaños sur l’amour. J’allais être amoureux quand je suis parti pour l’Espagne. C’est une des belles actions de ma vie. La personne qui a causé mon voyage n’en a jamais rien su. Si j’étais resté, j’aurais peut-être fait une grande sottise : celle d’offrir à une femme digne de tout le bonheur dont on peut jouir sur terre, de lui offrir, dis-je, en échange de la perte de toutes les choses qui lui étaient chères, une tendresse que je sentais moi-même très inférieure au sacrifice qu’elle aurait peut-être fait. Vous vous rappelez