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au plus hardi brigand de mélodrame. » Bref, ils se sont rencontrés en des circonstances romantiques, à la suite de cela ils se sont écrit, ils se sont rencontrés de nouveau, ils ont pu se voir à peu près six ou sept fois en six ans; puis la correspondance est devenue plus vive, plus libre, plus intime, avec une familiarité hardie qui tour à tour, cela résulte des lettres mêmes, charmait ou effarouchait la gracieuse Anglaise. Nous ne possédons pas ses réponses, et vraiment il y a lieu de le regretter; je dirai cependant que nous n’en avons pas besoin pour voir ses sourires et deviner ses larmes. Mérimée, soit qu’il s’excuse, soit qu’il se fâche, nous révèle les impressions diverses que son langage a causées à son amie, de même qu’on remarque très bien à son changement d’accent l’influence exercée peu à peu sur le sceptique railleur par une amitié si sérieusement dévouée.

La correspondance, dès le début (je parle seulement des lettres qui vont être publiées et qui appartiennent à l’année 1841), est établie sur un ton de marivaudage galant qui ne paraît pas être du goût de la jeune femme. Il a beau lui répéter : « Je ne suis pas amoureux de vous, je ne peux pas être amoureux de vous, nous ne pouvons nous aimer d’amour..., » elle s’inquiète, elle s’irrite, elle menace de ne plus le voir, de ne plus même lui écrire. Mérimée prend tout cela en riant, et de sa plume la plus vive il lui reproche son hypocrisie, son égoïsme, sa dévotion, ses habitudes de couvent, sa petite vanité, son grand orgueil, son infernale coquetterie. Elle promet du pain blanc et ne donne pas même du pain bis! La jeune femme, piquée au jeu, a dû répondre en bon langage, car Mérimée trouve ses lettres féroces et lui écrit sans hésiter : « Puisque vous le prenez sur ce ton, ma foi, je capitule. Donnez-moi du pain bis, cela vaut mieux que rien du tout. Seulement permettez-moi de dire qu’il est bis, et écrivez-moi encore. Vous voyez que je suis humble et soumis. » A partir de ce moment, le marivaudage va cesser, mais la passion ne tardera guère à se faire jour. Pendant toute l’année 1843, les lettres de Mérimée deviennent plus sérieuses en même temps qu’elles accusent un sentiment plus fort. Ce n’est plus un badinage équivoque, c’est vraiment de l’amour. Ils se voient souvent, ils visitent ensemble les musées du Louvre, ils se font conduire dans les bois de Bellevue, ces bois invraisemblables, si près de Paris et si loin ! Il est vrai que les malentendus subsistent toujours. L’inconnue a sa façon d’aimer, qui n’est point celle de Mérimée. Elle est grave, pieuse, chaste, elle s’efforce de l’élever jusqu’à elle, et plus d’une fois elle semble y réussir, tant elle y met de grâce et de gentillesse. «Nos promenades, lui écrit-il, sont maintenant une partie de ma vie, et je ne comprends guère comment je vivais auparavant. » Voilà un cri de l’âme. Cependant chaque fois qu’il la