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REVUE. — CHRONIQUE.

tique de Sahi Bokhari, — un opuscule en sanscrit qui a pour auteur le magicien Goraksh, et où se trouve indiqué non-seulement le moyen de voler dans l’air par l’effet d’une extase, mais encore celui de se faire enterrer vivant pour un temps voulu. Cette dernière expérience a été réellement faite un jour par un fakir à la cour de Ranzit-Singh, à Lahore, en présence d’un grand nombre de témoins, parmi lesquels était le docteur Honigberger. Il faut enfin mentionner la Cosmogonie bouddhique en langue tibétaine, imprimée bien avant Gutenberg au moyen de planches de bois gravées. M. Leitner a envoyé aussi ses importantes publications concernant les races qu’il a visitées et dont il a étudié les mœurs, les traditions et les langues. C’est à tort, ce nous semble, que M. Leitner veut avoir retrouvé dans les idiomes de ces tribus établies au pied de l’Himalaya les restes d’une langue aryenne antérieure au sanscrit ; non-seulement on a peine à croire qu’une langue ait pu ainsi se fossiliser en quelque sorte, se conserver sans changement à travers les siècles à côté de celles qui en sont dérivées, mais les échantillons mêmes que donne M. Leitner prouvent qu’il s’agit là probablement d’idiomes analogues aux dialectes modernes qui se parlent dans l’Inde, tels que l’indoustani et tant d’autres. Quoi qu’il en soit, il faut savoir gré au savant orientaliste d’avoir sauvé pour la science ces formes du langage, à peu près inconnues jusqu’à présent, et qui s’effacent comme des ombres devant l’extension des langues qui ont une littérature. Nous avons sous les yeux la dernière livraison de ses Results of a tour in Dardistan, Kashmir, little Tibet, etc. On y trouve une foule de légendes, de proverbes, de charades, de chants populaires, recueillis de la bouche des indigènes dans le nord de l’Inde. L’une des plus jolies parmi les légendes des Dards est celle du shikari (chasseur) qui assiste à une noce de démons.

Les démons sont des géans qui n’ont qu’un œil, placé au milieu du front ; ils habitent les montagnes et s’opposent au défrichement du sol. Un soir donc, un shikari qui erre dans les montagnes, harassé de fatigue, épuisé de faim et de soif, voit briller à quelque distance de lui un feu de bivac dont il s’approche tout joyeux. Alors il s’aperçoit qu’il est tombé au milieu d’un festin de géans. Il veut se sauver en toute hâte, mais l’un des convives, dont l’œil unique louche, se lève à ce moment pour aller chercher de l’eau ; il découvre le shikari, le questionne et l’invite à rester : il verra ce que c’est qu’une noce de démons. Le bigle lui jure d’ailleurs « par le soleil et la lune » qu’il ne lui sera fait aucun mal. Pendant qu’ils causent, un des géans arrache une plante, et dans le trou qui s’est formé ils jettent d’abord tous leurs ustensiles, puis se laissent glisser eux-mêmes par l’étroit orifice en se faisant minces comme un fil. Lorsqu’ils sont partis, le démon qui est resté près du chasseur le prend par la main, et ils suivent le même chemin. Ils arrivent dans une vaste grotte splendidement éclairée ; le shikari se cache