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REVUE. — CHRONIQUE.

dans la personne de ceux qui sont faits pour la représenter, autour d’un monument élevé par la reconnaissance publique sur une place de la cité piémontaise au comte Camille Benso de Cavour. Un habile statuaire florentin, M. Dupré, a travaillé des années à ce monument symbolique, dont l’inauguration a eu le caractère d’une solennité nationale. Que d’événemens, que de vicissitudes et d’épreuves rappelait cette fête, où tout venait attester la transformation des choses, où assistaient à la fois le roi Victor-Emmanuel, devenu le premier souverain de l’Italie après avoir été son premier soldat, M. Minghetti, président du conseil dans un ministère résidant à Rome, le syndic de Florence, M. Peruzzi, parlant au nom de toutes les municipalités italiennes, l’ambassadeur d’Autriche se mêlant au cortège des députations de la Lombardie et de Venise ! C’était l’histoire contemporaine tout entière sculptée dans le bronze et le granit, résumée dans un nom.

Il y a douze ans déjà que Cavour a disparu, de la scène du monde dans la force de l’âge et de l’intelligence, saisi à l’improviste par la mort comme sur le champ de bataille. Il est tombé prématurément, en plein combat, avant la victoire définitive de la cause qu’il a illustrée, par laquelle il s’est illustré lui-même, avant la réunion de Venise et l’entrée à Rome ; mais on le sait bien, et c’est ce qui explique les honneurs presque souverains qu’on vient, de lui rendre, tout ce qui existe au-delà des Alpes, c’est lui qui l’a fait avec le roi Victor-Emmanuel, c’est lui qui l’a préparé avec ce génie où se mêlaient l’habileté prudente et l’audace, la bonhomie allègre et la vigueur de conception, la solidité subalpine et la vivacité de la passion italienne. C’est lui qui a fait du petit Piémont, à demi ruiné et vaincu de la veille, l’allié utile de la France et de l’Angleterre, l’antagoniste heureux de l’Autriche, le libérateur de l’Italie, et tout cela, il l’a fait au grand jour, sans recourir aux violences ou aux subterfuges du despotisme, par l’alliance féconde d’une royauté populaire et du sentiment national. Cavour a eu ainsi la gloire d’être, sur un petit théâtre qu’il a su agrandir de ses propres mains, l’égal des plus éminens hommes d’état, en restant par-dessus tout le premier, le plus sincère, le plus résolu, le plus habile des libéraux de son temps. Il a montré ce qu’on peut par la liberté, avec la liberté. Il n’a pas été tenté, celui-là, d’infliger à l’émancipation nationale qu’il poursuivait la périlleuse solidarité des excès de la force et de la conquête. La conquête, il a voulu la repousser hors de son pays ; il n’a pas eu l’idée de l’imposer aux autres, et, par cette libérale politique, bien mieux que par la protection des armes, il a sans doute mis d’avance l’Italie à l’abri des réactions. Cavour avait pour nous un autre mérite. Certes en affranchissant l’Italie de l’Autriche, il ne pouvait pas avoir la pensée de la subordonner à la France, dont il venait de conquérir les sympathies et le concours dans sa généreuse entreprise ; mais cette France qu’il avait trouvée pour alliée, il l’aimait. Il ne séparait pas les intérêts italiens des intérêts fran-