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les conservateurs n’ont évidemment qu’un intérêt, C’est que l’organisation qui va être créée soit suffisamment efficace et protectrice, et qu’il y ait au sommet un pouvoir exécutif qui, par son autorité morale, par son prestige, comme par ses services, soit une garantie aux yeux du pays. Ces deux conditions, ils peuvent les obtenir par les lois qu’ils feront et par la prorogation de M. le maréchal de Mac-Mahon. M. le général du Temple et M. de Belcastel ne seront peut-être pas contens, mais la raison politique n’y perdra rien, et la France ne sera pas perdue pour cela.

Que veulent d’un autre côté les hommes du centre gauche qui sont la majorité dans la commission et qui peuvent n’être que l’opposition dans l’assemblée ? Qu’on le remarque bien, ils acceptent dès ce moment, la prorogation des pouvoirs de M. le maréchal de Mac-Mahon. La durée de ces pouvoirs est seule discutée, et ce n’est plus là en vérité qu’une question secondaire. Le vrai point difficile reste peut-être dans l’importance que met le centre gauche à lier la prorogation aux lois constitutionnelles ; mais cette connexité, elle est dans la nature des choses, des esprits éclairés ne peuvent s’y tromper jusqu’au bout, et M. le maréchal de Mac-Mahon lui-même, dans une conférence qu’il vient d’avoir avec les membres de la commission, n’a point hésité à se prononcer sur l’urgence des lois organiques, dont il attend « la stabilité et l’autorité » qu’il réclame pour le gouvernement.

Dès lors où serait un obstacle sérieux à un rapprochement ? Si c’est une affaire de mesure, de nuance et de langage, le rapporteur nommé par la commission, M. Laboulaye, se chargera sûrement d’achever l’œuvre de conciliation. Elle est désirable à un double point de vue, cette conciliation, qui seule peut reconstituer dans l’assemblée une force sérieuse de gouvernement, une force libérale et conservatrice. D’abord, si l’on poursuit la lutte jusqu’au bout, que serait une prorogation décennale ou septennale votée à une faible majorité ? Il n’est même pas certain que le maréchal de Mac-Mahon voulût garder le pouvoir dans des conditions si peu sûres, et tout autre à sa place serait exposé à se trouver en présence des mêmes divisions ; mais il y a une considération bien autrement grave, qui doit frapper et rapprocher tous les partis à la fois, libéraux et conservateurs. Que ces partis regardent un instant autour d’eux et qu’ils suivent la marche des choses : il y a trois ans à peine, l’assemblée dans un mouvement spontané d’indignation prononçait la déchéance de l’empire au nom de la France sanglante et mutilée. Quelques voix tout au plus osaient s’élever contre ce verdict solennel du patriotisme, réduit à payer les fautes impériales. Aujourd’hui vingt ou trente voix bonapartistes disposent presque des décisions souveraines de l’assemblée en déplaçant la majorité. La politique bonapartiste oblige tous les partis à compter avec elle, tantôt en aidant par son alliance au 24 mai, tantôt en faisant payer ses complaisances d’un appui