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M. Thiers, il y a moins d’un an, dans cette longue discussion de la loi des trente. : « il y a quelque chose, disait M. Thiers, que je voudrais voir arriver dans notre pays si bien fait pour cette qualité, la modestie : ne pas vouloir se déclarer gouvernement éternel ! Croyez-vous que les titres qu’on se donne soient des titres acquis définitivement ? Savez-vous ce que c’est la plupart du temps ? Un ridicule… Quand j’entends un gouvernement dire : je suis définitif et perpétuel, je souris et je réponds : Vous serez à peine durable… » Oui certes ; que la république refuse au pays la sécurité et la paix, elle aura beau s’être proclamée éternelle, elle disparaîtra au premier coup de vent. Qu’elle reste paisible, régulière, elle peut s’établir par degrés, elle aura la durée qu’elle aura méritée par sa sagesse, par sa modération, le provisoire de la veille deviendra le définitif du lendemain, et voilà pourquoi il est assez inutile de vouloir déclarer par des décrets solennels que « la France se constitue définitivement en république. »

Non, ce n’est plus cela, dit-on ; mais, pour en finir avec toutes les incertitudes, il faut en appeler au peuple lui-même, il faut convoquer la nation dans ses comices, et lui soumettre la question de la forme définitive du gouvernement, lui donner à choisir entre la république, la royauté légitime et l’empiré. Ce sont les bonapartistes qui ont fait cette motion, et certainement, si dans la première séance de l’assemblée il y a eu quelque chose d’étrange, c’est de voir la gauche tout entière se lever après un discours de M. Rouher pour voter l’urgence de la proposition bonapartiste. C’est un spectacle auquel on n’était peut-être pas préparé. Il y avait bien eu la grande réconciliation du premier empire et de quelques radicaux extrêmes, il n’y avait pas eu encore l’alliance ostensible dans un même rôle de la gauche de l’assemblée et des bonapartistes. On a vertement critiqué autrefois le plébiscite de 1870 ; il paraît que tout est changé, et que tout est bien, pourvu qu’une proposition puisse servir d’arme de guerre. Ne voit-on pas cependant que le plébiscite, le plus équivoque des moyens politiques, n’est bon tout au plus qu’à ratifier des faits accomplis, à sanctionner une organisation publique déjà établie ? Ici c’est bien autre chose, il s’agit d’appeler dix millions de Français à délibérer sur la meilleure forme de gouvernement à établir ou à rétablir. Qu’on voie bien cette situation singulière : il y a trois ans, la France a nommé une chambre composée d’hommes qu’elle a choisis pour leurs opinions, pour leur position ou pour leurs services. Cette assemblée, à tout prendre, elle est la souveraineté nationale vivante, concentrée, personnifiée. Eh bien ! il s’agit de destituer cette représentation de la souveraineté nationale, de proclamer son indignité ou son incompétence, et ce que n’auront pu décider des hommes qui peuvent avoir leurs passions de parti, mais qui, par leurs lumières, ne sont pas certainement les premiers venus, il faudra le donner à résoudre à dix millions de Français en partie illettrés, qui auront à