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il n’a pas pu prendre son parti, placer la question sur son vrai terrain en se plaçant lui-même sur le seul terrain possible. Il a hésité, il a tourné, il a fait de la tactique, et il n’a plus qu’à se préparer à une retraite définitive ou à une métamorphose complète, désormais inévitable. Quant à la proposition à laquelle M. le général Changarnier a donné son nom et qui n’a été bien clairement qu’une réponse concertée au message, elle reste l’expression presque naïve non pas vraiment d’une politique, mais des velléités, des regrets, des contradictions d’esprit, des incertitudes de cette fraction de l’assemblée qui après avoir travaillé à la monarchie éprouve quelque peine à savoir ce qu’elle veut, à mettre une certaine netteté dans ses combinaisons nouvelles.

La proposition de M. le général Changarnier a deux traits caractéristiques. Au premier moment, elle affectait de supprimer le mot de république, elle semblait même vouloir transformer le titre sous lequel M. le maréchal de Mac-Mahon a exercé jusqu’ici le gouvernement, pour ne lui laisser que le titre de chef du pouvoir exécutif, et de plus, sans ajourner indéfiniment les lois constitutionnelles, elle tendait à rendre la prorogation indépendante de ces lois. En d’autres termes, elle veut constituer et elle ne veut pas constituer. Elle évite le nom de la république et elle crée un pouvoir à qui, toute réflexion faite, elle veut bien rendre par grâce son nom, dont elle fixe la durée à dix années, sans déterminer ses droits, ses prérogatives, ses attributions. On ne le dissimule guère du reste, ce n’est ni la république ni la monarchie, ni la dictature, ni un pouvoir de délégation parlementaire tel qu’il a existé jusqu’ici ; mais alors qu’est-ce donc ? que veut-on faire ? Disons le vrai : ce qu’on veut créer, c’est le vague, un vague commode et facile, qui ne décide rien, qui se prête à toutes les éventualités, à toutes les combinaisons. Ainsi on n’a cessé depuis trois mois de réclamer un régime définitif pour la France, de rendre sensibles les dangers d’un provisoire insupportable, mortel pour tous les intérêts, et aujourd’hui tout ce qu’on trouve de mieux à proposer, c’est un provisoire prolongé indéfiniment, résumé, il est vrai, dans un nom respecté, mais qui reste dénué de toute sanction précise, qui laisse la porte ouverte à toutes les tentatives, à toutes les agitations. C’est l’incertitude en permanence décrétée avec préméditation, avec l’espérance d’en profiter au premier moment venu, et dans ce provisoire indéfini quel est ce pouvoir qu’on élève ? quel est son caractère ? quelles sont ses conditions d’existence ? où sont les garanties et les limites de son autorité ? Au fond, il y a une pensée secrète qu’il n’est peut-être pas difficile de pénétrer. Ce qu’on veut établir, c’est un pouvoir qui n’est point sans doute par lui-même une dictature, mais qui serait destiné à être l’instrument de la dictature de l’assemblée, du parti qui l’aurait créé, et on ne le cache même pas. Le maréchal de Mac-Mahon est le chef parlementaire des conservateurs,