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À propos de cette nouvelle reprise, nous demandons qu’il nous soit permis de ne point aller compulser les mémoires de Grétry pour en extraire quelques-unes des mille sottises que cet homme de génie se plaisait à débiter sur ses propres ouvrages. Ce qui importe en pareil cas, c’est l’impression produite sur le public contemporain et non ce que l’auteur pensait de sa partition, toujours plus ou moins le chef-d’œuvre du genre, cela va sans dire. Chef-d’œuvre du genre ennuyeux, ajouterions-nous franchement cette fois. Le fait est que ce Richard a beaucoup vieilli. La pauvreté de ce style, même remanié par la main d’Adolphe Adam, est aujourd’hui quelque chose de lamentable. Aussi, lorsque de ce milieu, frippé, suranné, jaillit l’inspiration, l’accueillez-vous avec enthousiasme sans trop vous interroger sur la véritable valeur musicale de cette inspiration. Qu’est-ce par exemple que cet air si renommé dont nous parlions, « ô Richard, ô mon roi ! » Un élan sublime et puis plus rien. La phrase, après quelques mesures, tourne court et laisse en détresse l’émotion. « Une fièvre brûlante » est aussi un morceau plein de pathétique, mais c’est du pathétique sur l’air de la Belle Gabrielle. Rendez sa mélodie naïve à Thibault comte de Champagne, qu’Adolphe Adam reprenne son trémolo, que restera-t-il à Grétry de cet effet prestigieux ? Non, Grétry n’est point là ; l’héroïde exige un autre style que le sien. Ces personnages de la chronique deviennent entre ses mains des troubadours de pendule. Son vrai tempérament, son vrai génie, c’est dans ses opéras comiques non larmoyans qu’il les faut chercher. Pour le relief des caractères, la franchise du tour, le Tableau parlant vaut une comédie de Molière. L’air de Cassandre, « pour tromper un pauvre vieillard, » élève jusqu’à la passion, jusqu’au tragique, le désespoir partout ailleurs ridicule d’un sexagénaire amoureux et dupé. En musique, personne, comme Grétry, n’a su faire parler les vieillards ; qu’ils s’indignent comme ce misérable Cassandre ou se chamaillent joyeusement comme les deux compères de la Fausse magie, c’est naturel, c’est admirable. Et n’oublions pas, n’oublions jamais que notre école française offre seule de tels modèles, et que le duo du Chamberlin, dans le Nouveau Seigneur, le duo de ma Tante Aurore, « quoi, vous avez connu l’amour ? » sont aussi bien des richesses nationales que les contes de La Fontaine ou les peintures de Chardin.

« Quel est en 1784 le grand succès du moment ? Richard Cœur-de-Lion, où l’on voit derrière les grilles d’une prison ressemblant à la tour du Temple un roi malheureux et prisonnier. Avec Richard Cœur-de-Lion, Grétry avait payé sa dette à la société et aux maîtres dont il avait été le favori. Il avait donné une forme musicale immortelle aux aspirations de tous les Blondels qui allaient venir avec un dévoûment admirable et inutile, hélas ! mourir sous les murs de cette prison où agonisaient de royales victimes. Que de fois peut-être, le soir, au fond de la tour, dans la chambre sordide éclairée par une chandelle fumeuse, les