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s’est tout de suite dépêché de le mettre dans le Pardon de Ploermel. — Mais, vont dire les esprits chagrins, ces élémens nombreux et pittoresques ne s’amalgament pas, ces tableaux ne nous offrent ni enchaînement ni cohésion. — Raison de plus pour admirer, carde cet imbroglio même naît un intérêt immense, notre imagination mise au défi tend ses ressorts à l’extrême, et, désespérant de jamais saisir la pensée de l’auteur, invente à son tour, au moyen de tout cet appareil décoratif, un drame vigoureux, émouvant, et qui se prête à mille variantes : aussi gardons-nous bien de médire de ce poème du Trovatore, gardons-nous surtout de mal penser de la musique. Aujourd’hui la mode est au stylé, et le ne m’en plains pas. Tant de vulgarités et de platitudes appelaient une réaction. Elle est venue, encourageons-la, rien de mieux. Tâchons pourtant que l’intégrité des genres soit maintenue, et qu’un opéra ne devienne pas une symphonie. Il se peut que le Verdi du Trovatore parle une langue qui n’est point celle de Mozart ou de Racine ; mais cet âpre et viril génie, quand la situation se présente, il sait au moins l’aborder carrément. Verdi est ce qu’on appelle un homme de théâtre. En musique comme ailleurs, on peut avoir au premier degré les aptitudes dramatiques tout en étant pour le reste un mauvais écrivain, de même qu’on peut être un styliste accompli et ne rien comprendre au théâtre. De beaux esprits, des talens fins et délicats, nous en possédons de toutes les couleurs, nous en avons qui réussissent à jouer l’émotion et qui à force de s’ingénier, de se tourmenter, ont l’air de verser de vraies larmes. Les écoliers de notre temps en remontreraient aux maîtres d’autrefois ; le malheur veut que tous ces brillans rhétoriciens formant pléiade ou coterie ignorent la langue du sentiment et de la passion, et, quand ils s’attaquent au drame, ne réussissent à nous donner que des élucubrations symphoniques. Si le Théâtre-Italien tient à nous démontrer sa raison d’être, qu’il monte donc Aïda. Une bonne et sérieuse mise en scène de ce dernier ouvrage du chef de l’école actuelle serait encore près de notre public la meilleure des recommandations ; mais alors il y faudrait mettre le temps, veiller à la distribution des rôles, soigner les ensembles, ne négliger ni les décors, ni les costumes, en un mot donner à cette partition pharaonesque la pompe de grand opéra qu’elle comporte. Le public de Paris saurait ainsi à quoi s’en tenir sur le caractère de la nouvelle œuvre, et s’il est vrai que les tendances germaniques, déjà notables dans Don Carlos, y soient tellement accusées. Au temps des Haydn, des Mozart, et jusqu’à Rossini, l’Italie attirait à elle l’Allemagne ; désormais c’est l’Allemagne qui l’absorbe.

Cette influence, pourquoi veut-on nous forcer à la subir, nous qui devons au contraire n’avoir en vue qu’une chose, maintenir intacte sur tous les points notre nationalité, que tant d’infortunes et de mécomptes nous rendent plus chère ? La France aime les arts avec passion : au mi-