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ministration, et déjà le procédé américain s’affiche par tous les côtés. Les talens les plus modestes nous sont présentés comme des merveilles ; il n’est si petit nom autour duquel on n’embouche la trompette, et pour nous empêcher de réclamer trop haut la venue plus ou moins prochaine des Patti et dès Nilsson du présent, on nous offre à grand fracas des Fraschini et des Malibran de l’avenir. Mlle  Belocca est une fort agréable personne, douée d’une voix jeune et veloutée, voix capable d’évoluer vers le haut ou de tourner au grave, mais qui s’établira définitivement dans le domaine du mezzo-soprano. C’est dire qu’elle a rendu à la Rosine du Barbier la tonalité primitive du rôle. Jusqu’ici Mlle  Belocca semble n’apporter au théâtre que les qualités qu’elle tient de la nature : c’est un gosier rare, une heureuse organisation, mais ne possédant rien qui lui soit propre ; de riches facultés, un joli visage et beaucoup d’entrain ; sans doute qu’un jour l’art du chant fera le reste. Il importait à l’administration naissante que Mlle  Belocca réussît et que son début fût un coup d’éclat. On a donc manœuvré à cette intention. Portraits, annonces et légendes ont couru la ville, le public a dû par avance être informé des tenans et des aboutissans, et savoir que la jeune cantatrice était la fille, fort bien rentée d’ailleurs, d’un illustre conseiller d’état moscovite. On nous a même raconté que la Suède ayant donné au monde Jenny Lind et Christine Nilsson, cela ferait grand plaisir à l’empereur de Russie de voir applaudir cette autre enfant du nord, et d’avoir également son gentil rossignol achalandé sur tous les marchés d’Europe et d’Amérique. Même intempestif compérage à propos de Mlle  Tagliana, elle aussi annoncée comme une étoile, et qui, dans la Gilda de Rigoletto, n’a trouvé à déployer qu’un maigre fil de voix dont se contenterait à peine la clientèle de l’Athénée. Parlerai-je du ténor Villa, un prince vraiment déplorable, un duc de Mantoue que la superbe dynastie des Mario et des Fraschini repousse comme atteint et convaincu de bâtardise au dernier chef ?

C’est donc toujours l’ancien système : ouvrir d’abord, quitte à se former une troupe quand et comme on pourra. Autant de représentations, autant de reprises et de débuts. On commence par prendre ce qu’on a sous la main, on engage à la soirée des virtuoses émérites devenus professeurs de chant à Paris, puis viennent les oiseaux de passage, les exhibitions sans conséquence. Si le nouveau directeur s’imagine tirer jamais parti du Théâtre-Italien en rejouant l’ancien jeu, il se trompe. Ce qui de tout temps a fait la prospérité de l’entreprise, c’est sa clientèle d’habitués ; le Théâtre-Italien ne saurait vivre que par ce qu’on appelle l’abonnement. Or les abonnés sont gens qui généralement s’y connaissent ; il leur faut autre chose que des essais continuels et de tapageuses annonces, et tant que vous ne leur donnerez pas une troupe, un répertoire, un programme qui soit une vérité, vous les verrez manquer à l’ap-