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posséder ces papiers, ne s’est jamais plaint à ce sujet de Phormion, et lui prête encore aujourd’hui devant le tribunal l’appui de son témoignage. Enfin, ce qui suffirait à rendre la demande non-recevable, il y a une décharge générale donnée huit ans plus tôt par Apollodore, après la mort de sa mère, décharge constatée par une sentence arbitrale. Cette quittance n’existât-elle pas, la prescription devrait couvrir Phormion contre toute attaque ; les faits articulés remontent à près de vingt ans.

Ce qui relève encore tous ces argumens, si forts par eux-mêmes, c’est que, dans la manière dont ils sont mis en œuvre, on reconnaît cette fière et dédaigneuse véhémence que Démosthène a fait si souvent sentir aux Philocrate, aux Démade, aux Eschine, à tous les pensionnaires de la Macédoine. Écoutez cette page où Démosthène raille les prétentions d’Apollodore et lui montre combien toute sa conduite est déplacée et déraisonnable :


« Je m’étonne que tu ne songes point qu’Archestratos, qui a été jadis le maître de ton père, a ici un fils, Antimachos, qui n’a point la fortune qu’il mériterait ; or celui-ci ne vient pas t’attaquer, et ne se plaint pas d’être ta victime. Il te voit pourtant porter un manteau de la laine la plus fine ; il te voit affranchir une de tes maîtresses, en marier et en doter une autre, toi qui es un homme marié ; il te voit mener partout avec toi une suite de trois jeunes esclaves, et vivre d’une manière si débauchée qu’il suffit de te rencontrer pour deviner tes vices. Antimachos manque de bien des choses nécessaires à la vie, et il voit aussi Phormion dans l’aisance. Cependant, si tu te crois des droits sur les biens de Phormion parce qu’autrefois il a appartenu à ton père, Antimachos, en vertu de ce même titre, serait plus fondé que toi à élever de pareilles prétentions, car ton père a été esclave du sien, de sorte qu’à ce compte il aurait des droits sur toi aussi bien que sur Phormion. Mais toi, tu en es venu à ce point d’aveuglement que tu te mets dans le cas d’évoquer toi-même des souvenirs qui ne devraient, à ce qu’il semble, être rappelés que par tes ennemis, et tu déshonores ainsi et toi-même et les parens que tu as perdus, tu insultes la cité. Ces biens et ces privilèges que ton père a acquis grâce à la bienveillance des citoyens qui nous entendent ici, et dont jouit maintenant Phormion après ton père, tu ne sais pas les conserver avec décence et dignité, de manière qu’ils fassent honneur et à ceux de qui tu les tiens, et à vous autres qui les avez reçus. Non, il faut que tu sois toujours occupé à nous en dévoiler l’origine, à nous démontrer, à nous prouver, en t’outrageant en quelque sorte toi-même, de quel néant les Athéniens t’ont tiré pour te faire citoyen. Oui, tu en viens à ce point de folie (puis-je me servir d’un autre terme ?) de ne point comprendre que nous aujourd’hui, quand nous demandons que Phormion, après avoir réglé ses