Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 108.djvu/438

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’eussent encore de la peine à tenir leurs engagemens. La retraite de Phormion enlevait au fonds beaucoup de sa valeur ; aussitôt que furent rendus et approuvés par Pasiclès ses comptes de tutelle, et qu’il eut reçu décharge du bail, Phormion s’empressa de s’établir à son propre nom. La meilleure portion de la clientèle dut le suivre, la plupart des dépôts prirent le chemin de sa caisse. La maison nouvelle qu’il fonda fut bien vite une des plus importantes d’Athènes et de la Grèce ; son chef put beaucoup donner à la cité et l’aider de sa garantie pour acquérir, en temps de disette, les blés du Bosphore cimmérien. « Phormion, lisons-nous chez Démosthène, possède auprès de ceux qui le connaissent un crédit qui égale, qui dépasse de beaucoup la valeur des sommes qu’il vous a fournies à diverses reprises, et, par ce crédit, il rend service à la cité en même temps qu’à lui-même. » Dès l’année 360, Phormion, comme jadis son maître Pasion, recevait le droit de bourgeoisie.

De si brillans succès ne pouvaient manquer d’exciter l’envie d’Apollodore. Sa mère, la veuve de Pasion, mourut l’année même où Phormion devenait citoyen. Elle léguait 2,000 drachmes aux enfans d’Apollodore. Celui-ci ne fut pas satisfait du legs ; il réclama 3,000 drachmes de plus, une servante, une part des vêtemens et des bijoux ; il parla encore de procès. Plusieurs parens s’entremirent ; Phormion céda, remit en tout 5,000 drachmes et les effets demandés ; l’héritage fut partagé par quart et par tête entre les quatre fils issus des deux mariages. Là-dessus, à l’Acropole, dans le Parthénon même, Apollodore déclare devant témoins qu’il n’a plus rien à réclamer de Phormion, que tous leurs comptes sont réglés. L’accord intervenu et cette sorte de décharge générale sont mis par écrit sous la forme d’une sentence arbitrale rendue par Deinias, le beau-père, et Nicias, le beau-frère d’Apollodore, ainsi que par Lysinos et Androménès, qui représentaient Phormion. Ces derniers avaient eu soin de faire consigner dans l’acte que c’était à titre gracieux et pour l’amour de la concorde que Phormion consentait à ce sacrifice. Pour mieux témoigner sa satisfaction, Apollodore faisait bientôt à son beau-père l’honneur de lui emprunter plus de 2 talens, qu’il ne lui tendit jamais.

Malgré cet héritage, malgré cet emprunt, Apollodore s’obérait de plus en plus. A mesure que ses embarras d’argent devenaient plus pressans, sa colère augmentait ; il ne pouvait souffrir de voir l’ancien esclave de son père, Phormion, un homme de rien, un parvenu, augmenter d’année en année sa fortune et jouir de la considération générale, tandis que lui-même, l’héritier de l’une des plus riches maisons d’Athènes, sentait l’opinion publique se détourner de lui, et comptait déjà les heures qui le séparaient encore de la ruine, de