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servile, Phormion. Comme première récompense de son assiduité et de son intelligence, Phormion avait reçu la liberté ; puis, à mesure que les années s’appesantissaient sur son vieux maître, il avait pris dans la maison une place de plus en plus importante ; sous la haute surveillance de Pasion, il avait fini par être chargé de tout le détail et par diriger les affaires.

La banque donnait de très beaux revenus ; on aurait pu croire que Pasion la laisserait à son fils aîné, Apollodore, qui était déjà un homme fait ; mais Apollodore avait d’autres visées. Son père l’avait élevé en fils de famille, lui avait fait donner une éducation très soignée, l’avait laissé fréquenter les écoles des rhéteurs, se lier avec des jeunes gens ambitieux et riches. Apollodore rêvait les honneurs, la puissance ; peut-être eût-il rougi de s’asseoir derrière le comptoir paternel. En tout cas, Pasion n’avait pas assez de confiance dans son assiduité et son jugement pour le charger de la conduite d’une affaire qui réclamait une attention de toutes les heures, de toutes les minutes. Ce fut sur Phormion qu’il jeta les yeux pour continuer son œuvre. Il était alors propriétaire non-seulement de la banque, mais encore d’une fabrique de boucliers : il fit avec Phormion un contrat par lequel il lui louait les deux entreprises. La location portait, pour la fabrique, sur le matériel et sur les esclaves qui servaient à l’exploiter, pour la banque sur l’achalandage, sur l’usage des capitaux que de nombreux déposans avaient versés dans la caisse de la maison. Si Phormion n’avait pas été connu et aimé des cliens, si ceux-ci n’avaient pas été, pour ainsi parler, parties au contrat, Phormion n’aurait pu faire honneur à ses engagemens ; le petit pécule qu’il avait pu ramasser depuis son affranchissement aurait été bien vite dévoré ; mais, comme dit Démosthène racontant cette cession, « pour arriver à faire des affaires, la première mise de fonds et la plus nécessaire, c’est d’inspirer confiance. » Loin de se retirer et de fuir, l’argent afflua ; ceux qui avaient l’habitude de confier à la maison le soin de leurs intérêts virent avec plaisir un homme jeune encore et actif prendre la place du vieillard.

Un an ou dix-huit mois après que fut passé l’acte de cession, Pasion, se sentant mortellement atteint, s’occupait d’assurer l’avenir de ses enfans et la conservation de leur patrimoine. Il allait laisser une veuve et deux fils, Apollodore, déjà majeur, Pasiclès, encore adolescent. La fortune était considérable, une des plus belles qu’il y eût alors en Attique. Il y avait pour 20 talens d’immeubles et près de 40 talens placés dans les affaires, en prêts maritimes, en hypothèques, en créances de toute nature, qui devaient être appuyées sur de solides garanties ; c’était un ensemble d’environ 60 talens, c’est-à-dire de plus de 330,000 francs. On a vu, par l’exemple de Démosthène, ce que pouvait devenir, entre les mains