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Satyros. Le prince, avec beaucoup de bon sens, se déclara incompétent ; c’était à Athènes que s’était passé tout ce dont on l’entretenait et qu’avait été conclue, la convention ; il n’avait point, à distance, les élémens nécessaires pour se faire une opinion et pour trancher le débat. Il tint pourtant à donner au fils de son favori une preuve de bon vouloir et de sympathie ; il réunit les capitaines et négocians athéniens qui se trouvaient alors dans le port, et il leur présenta son sujet ; il les pria de prendre à Athènes sa défense et de ne point le laisser devenir la victime de Pasion. Il fit plus : il adressa au peuple athénien une lettre dans laquelle il recommandait aux magistrats et aux jurés athéniens celui qui allait comparaître devant eux, confiant dans leur justice. Ce fut ainsi, sous les auspices de son souverain et fort de son appui moral, que le créancier de Pasion, à son retour de voyage, vint soutenir sa demande devant un tribunal présidé par le polémarque ; la qualité du plaignant, l’intervention de Satyros, sur laquelle le plaideur a soin d’insister dans sa péroraison, l’opulence de Pasion, les inquiétudes de ses associés et de ses nombreux cliens, toutes ces circonstances durent appeler l’attention publique sur les débats de cette cause.

Le client d’Isocrate gagna-t-il son procès ? On serait tenté de le croire, tant le discours prévient le lecteur en faveur de celui qui le prononce. Peut-être d’ailleurs le fait même que le plaidoyer a été recueilli et conservé par Isocrate témoigne-t-il du succès qu’il a obtenu en faisant accueillir une requête qui pouvait sembler très aventurée. En effet, qu’on ne l’oublie pas, les preuves matérielles faisaient défaut à l’adversaire de Pasion ; le fils de Sopæos ne pouvait fonder sa réclamation sur aucune pièce écrite ni même sur aucun témoignage direct et concluant. Tout ce qu’il pouvait démontrer, c’est que Pasion s’était conduit à plusieurs reprises, dans le cours de cette longue contestation, en homme qui n’a pas la conscience et les mains nettes.

L’opinion publique chez les Athéniens ne paraît pas avoir été très sévère pour des combinaisons et des malices comme celles dont le fils de Sopæos accuse Pasion : elles pouvaient faire condamner à une restitution, voire à des dommages et intérêts ; mais elles n’entraînaient point cette condamnation pénale et par suite cette note d’infamie qui, d’après nos lois, ne pourrait guère manquer, dans un cas comme celui-ci, de suivre la responsabilité civile. L’absence de tout ministère public épargnait au coupable le danger de voir la question portée sur ce scabreux terrain du crime commis envers la société. De plus la race grecque n’a jamais été bien exigeante en fait de moralité, Le vrai héros national, ce n’est point Achille, c’est cet Ulysse, qui sait si bien dérober et mentir, qui cherche à tromper sa protectrice elle-même, Pallas-Athéné.