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fédéraliste, monarchiste, républicain ; ils veulent même savoir s’il est libre penseur, ce qu’il pense des jésuites, s’il est un paolotto[1]. Il faut, chez eux, absolument se mettre sous un drapeau et s’y tenir. En cela, il est vrai, ils ne s’éloignent pas trop de leurs contemporains des autres pays. O vous, Italiens, nos arrière-neveux, vous avez raison dans une certaine mesure d’exiger des hommes publics des principes arrêtés, une conviction politique à laquelle on est obligé de garder une honorable fidélité ; mais ne jugez pas de nous, vos devanciers, par vous-mêmes. Songez que nous autres, nous avons été les jouets d’une fortune aussi capricieuse que cruelle, qu’une victoire des Français ou des Espagnols décidait tous les ans, tous les mois peut-être, de notre sort, que nous n’étions pas maîtres chez nous : comment l’aurions-nous été de nos opinions ? Où sont les monarchistes décidés, où sont les déterminés républicains de notre temps ? Il n’y en a pas. Tous les cœurs un peu bien placés étaient florentins, italiens, et, suivant les circonstances, se portaient vers les Médicis ou s’éloignaient d’eux pour rester italiens et florentins. Laissez vos systèmes rétrospectifs : lisez tout ce qui est sorti de ma plume, rapportez-le à telle ou telle année de l’histoire, et vous connaîtrez ma pensée. J’ai pu me tromper : il ne s’agit pas de m’innocenter absolument ; mais n’oubliez pas comment on vivait, comment on pensait autour de moi. Tenez compte aussi de ma vie, de mes mœurs, de mon humeur, et vous ne serez pas dupes de quelque malentendu qui ne serait l’effet que de votre maladresse. »

Grâce à quelques documens inédits ou laissés de côté, on pourrait aisément suppléer à ce que Machiavel n’a pas fait. Il ne faut pas s’y tromper : la biographie des auteurs fut toujours tirée de leurs livres. Tous ces récits que nous avons sur Dante, sur Pétrarque, sur Boccace, que l’on considère comme authentiques, — et l’on n’a pas tort, — on s’imagine qu’ils ont été recueillis sur les lèvres des contemporains, formés de témoignages vivans et curieusement réunis ; on s’imagine l’amitié ou l’admiration tenant la plume sur la tombe à peine fermée du grand écrivain. Ce n’est pas ainsi que les choses se sont passées. Quelques mots caractéristiques dont la génération s’est souvenue, quelques anecdotes souvent défigurées, voilà toute la part de la tradition : la meilleure partie est puisée dans les œuvres de l’auteur et dans toutes les pages qu’il a signées. Machiavel a été raconté de la même manière et d’après des matériaux incomplets. Ce n’est pas une histoire du publiciste que l’on prétend écrire ici : cela serait ou superflu ou prématuré ; il suffit d’indiquer quelques points principaux de sa vie et de tirer de lui-même comme un fragment d’autobiographie dont la critique aurait

  1. Paolotto, membre de la société de Vincent-de-Paul.