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imagina. Devant le polémarque, il affirma que Kittos était de condition libre et ne pouvait par conséquent être traité comme un esclave. Ménexène répond que Pasion ne cherchait qu’à gagner da temps ; il s’oppose à la mise en liberté provisoire, à moins que Pasion ne fournisse une caution dont la valeur fût égale à celle des sommes que la banque devait à son ami. Pasion s’exécute, il dépose 7 talens, près de 50,000 francs, afin d’épargner la question et d’assurer les privilèges de la liberté à celui que tout à l’heure encore il accusait d’être l’auteur d’un grave abus de confiance, le principal complice d’un vol commis à son préjudice.

L’inconséquence était évidente. Pris à son propre piège, Pasion semblait se contredire lui-même. Il sentit qu’il lui serait difficile d’expliquer à son avantage toutes ses démarches et qu’il était dans une impasse ; il tenta de revenir sur ses pas. Il fit dire à ses adversaires qu’ils pouvaient interroger Kittos comme ils le voudraient. Ceux-ci acceptèrent et convinrent de se rencontrer dans le temple de Vulcain avec Pasion, son esclave et les personnes chargées de le faire parler. Il y avait des citoyens, sorte d’experts attitrés ou d’arbitres spéciaux, qui, servis par des esclaves dressés à cet office, louaient en pareil cas leur concours ; c’étaient eux qui dirigeaient l’opération et qui prenaient note des aveux ainsi obtenus. Nous ne connaissons point toutes les variétés de torture que la loi et l’usage autorisaient ; ce qui est certain, c’est que l’on s’arrêtait bien en-deçà des limites que s’était fixées notre ancienne législation. La situation était toute différente ; les pauvres gens auxquels à Athènes on infligeait cette épreuve n’étaient point, comme chez nous au moyen âge, des accusés présumés ou déjà déclarés coupables ; c’étaient de simples témoins. Dans la froide indifférence avec laquelle, pour obliger un plaideur, pour servir les intérêts d’un citoyen, on faisait souffrir des créatures humaines, il y a un curieux et triste effet de l’institution servile. On voit comment, par la force des choses, elle a conduit le législateur athénien, si doux d’ailleurs, même, pour l’esclave, à traiter comme des criminels des gens qu’il savait innocens, mais dont il attendait quelques renseignemens sur les faits de la cause. Tout ceci n’est qu’une naturelle conséquence de l’idée que l’antiquité tout entière se faisait alors encore de l’esclave, cet instrument doué de vie, comme le définit Aristote. Il n’en est pas moins vrai que, torturant ces malheureux sans avoir contre eux aucun sujet de colère ou de haine, le citoyen athénien ne pouvait aller aussi loin que le firent plus tard les bourreaux de l’inquisition ou du parlement. Il y avait d’ailleurs un obstacle qui le retenait plus sûrement encore sur cette pente que le sentiment de la justice ou qu’un involontaire mouvement de pitié : c’était l’obligation imposée à quiconque mettait à la question les